• QUAND LA FORÊT SE TRAVESTIT EN CHAMPS CULTIVES

    QUAND LA FORÊT SE TRAVESTIT EN CHAMPS  CULTIVES– Le titre a de quoi surprendre le visiteur, j’en conviens. Cependant, après des siècles d’une existence sans histoire, comptant parmi les plus passionnantes, voilà que la sylve,  un matin, frissonna. Elle qui se croyait hors d’atteintes en tous genres autres que celles qu’elle génère elle-même en abandonnant les plus anciens hôtes à leur sort en les précipitant au sol. Cette fois, elle devina que son couvert pouvait être utile à une nouvelle façon d’être, même si cette dernière semble d’un abord étrange. Oh ! N’imaginez  pas que cela se fit dans la gaieté de cœur. Celle qui renfermait les secrets de la vie s’éveilla un beau matin, surprenant des gens, sabres à la main, lunettes de visées vissées à l’œil, enfonçant de loin en loin des piquets rouges et blancs. Elle savait que les hommes détenaient une grande faculté à créer des images en modifiant les sites naturels, mais de là à chercher à la diviser, jamais elle ne l’aurait pensé.

    Pourtant, après un minutieux quadrillage, elle fut bien forcée de se rendre à l’évidence. Dans un premier temps, après le modeste coupe-coupe, le bruit des tronçonneuses monta dans les ramures qui se mirent à frémir. Les spécialistes s’en prirent d’abord aux bois de qualité, noblesse oblige. Dans un dernier sursaut, ceux-ci s’effondraient, entraînant avec eux des plus fragiles et d’autres considérés comme inintéressants. D’énormes machines à chenilles emportaient les troncs débarrassés de leurs branches, tandis que d’autres, tout aussi indifférentes, poussaient sur les fûts qui ne pouvaient résister. Les arbres essayaient bien de se raccrocher à leurs voisins, imbriquant leurs charpentières les unes dans les autres ; mais rien n’y fit. Ils s’écroulaient, vaincus, brisés et entassés pour être brûlés. En peu de temps, ce qui était une forêt élégante et protectrice devint une montagne de billes entremêlées, de bois tordus, laissant s’écouler la sève comme le sang lors des hémorragies chez les humains. Durant des semaines, les travaux se poursuivirent. Succédant à toutes ces transformations, le sol s’offrit à la vue de tous, et en particulier au ciel qu’il découvrait pour la première fois dans sa totalité.

    Ô ! Qu’il fût amer ce jour, ou après des feux qui avaient duré toute la saison sèche, la terre se retrouva entièrement nue sous le firmament étonné de la voir réduite à sa plus simple expression. Cependant, il se garda bien de se moquer, devinant l’immense tristesse ainsi que la souffrance qui devait torturer les entrailles de la planète. Les hommes allaient-ils lui voler les secrets de la vie ? D’autres machines l’éventrèrent sans ménagement et sans considération. Des chemins furent tracés, des parcelles délimitées. On piquetait ici et là, sans se cacher, on domptait la nature. Les ouvriers firent des trous, les remplirent de bonne terre et de déchets organiques. Les premières pluies arrosèrent cet espace dénudé, et les plantations commencèrent. La forêt voisine regardait avec angoisse tous ces travaux s’exécuter sans fléchir, redoutant que le lendemain elle connaisse de pareils assauts dévastateurs. Mais il n’en fut rien ; pour cette année, elle s’estima sauvée. Elle fut même fière d’accueillir les animaux qui avaient pu  se sauver à temps. Certes, cela provoqua quelques bagarres, les uns investissant les territoires des autres. Mais après une période d’observation, tout rentra dans l’ordre. La forêt imposa une nouvelle façon de cohabiter dans un espace  qu’ils devaient désormais partager.

    Sur les collines exposées aux rayons implacables du soleil, la végétation donna vite un  premier signe de vie. L’humus ne fut pas rancunier malgré les maltraitances qu’on lui fit subir. Les variétés importées poussaient dru, les fruitiers plantés  par dizaines, rapidement s’éveillèrent en prolongeant leurs jeunes rameaux. On devinait qu’une  nature différente était en train de voir le jour. Les oiseaux un temps chassés des frondaisons se rapprochèrent et estimèrent que les arbres aux allures étranges feraient aussi bien que les anciens pour y installer leurs nichées. Certes, les félins bien qu’observant le nouveau paysage convinrent qu’ils ne le fréquenteraient pas, sauf si les gens y élèvent des animaux domestiques naïfs, faciles à attraper, représentant une consommation régulière et peu fatigante quant à son approvisionnement. Les rongeurs de toutes sortes ne se firent pas prier pour se frotter les pattes. Ils reconnurent d’un coup d’œil ce qui allait changer leur ordinaire, sans qu’ils aient à chercher inlassablement ce qu’ils avaient enfoui les saisons précédentes. Les maniocs furent vite distingués, les ananas ne tardèrent pas à les suivre dans le catalogue des vivres. Les patates douces, les ignames, les dachines, et tous les autres légumes furent identifiés et répertoriés. Se tenant à l’orée des grands bois, les animaux observaient les gens organiser les lieux. Ils n’allèrent pas jusqu’à les remercier, mais certains sourires découvrirent des dentitions nouvellement affûtées, tandis que les serpents qui n’entendaient pas abandonner le terrain, se félicitèrent de l’initiative des hommes qui leur offraient de quoi se restaurer sur un plateau.

    Certes, la chaîne alimentaire avait pour un temps été rompue. Mais on y ajouta tant de maillons, que dans le milieu on jugea l’action comme un moindre mal. Ainsi, ce qui fut un drame au premier jour se transforma en une aubaine pour tout le monde, sans que chacun ait à se plaindre, à l’exception de la forêt qui perdit dans le combat une partie de sa mémoire.

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00061340-1

     

     

     

     


  • Commentaires

    1
    Vendredi 10 Novembre 2017 à 18:03

            Bonjour  mon  cher  René  ..
       Merci  encore  pour  ce  beau  texte  ..  Une  fois  de  plus , l'homme  qui  se  croit  le  plus  fort  se  permet  sans  demander  la  permission  , de  changer  le  monde  et   la  nature  pour  ces  propres  besoins ..L'homme  qui croit  tout  savoir , ira  a  sa  propre  perte , quand  il  s'en  rendra  compte  il  sera  trop  tard  , la  nature  aura  repris  ses  droits  ..
       L'Automne  s'avance  lentement  dans  notre  région  et  les  arbres  a  l’idée  de  bientot  s'endormir , en  rougissent  de  plaisir  avant  de  se  dévêtir ..
    Je  vous  souhaite  a  tous  deux  un  très  agréable  Week-end ..
      Avec  mon  amitié  et  plein  de  bisous  des  US  ...
    Nicole ..

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