• Quand la mer s'invite

    — Ne pas voir la mer n’est pas le privilège des gens des temps anciens. Aujourd’hui comme hier, des enfants ne la découvrent que bien tardivement, et certains même quitteront notre monde sans même avoir entendu les vagues flirter avec les plages ou s’écraser avec fureur sur des rochers ravis de les éclater dans une dernière révérence écumeuse. Je me souviens toujours des paroles des grandes personnes, quand, depuis le fond du pays, les enfants demandaient s’ils iraient un jour, comme leurs copains, eux aussi sur le bord de la mer. Les réponses alors ne se faisaient pas attendre et retentissaient tels des coups de fouet, sur un ton ne réclamant aucune réplique :

    — L’océan ? Tu as bien le temps de la voir ! Il est à la même place depuis la première aube et je ne crois pas que ce soit demain qu’elle va se sauver. L’adulte tournait le dos et retournait à ses occupations sans aucune autre explication.

    Alors que les vacances mettaient du baume au cœur des écoliers, dans certaines cours de ferme la vie s’organisait. On attendait que les bestiaux aient quitté les étables et les écuries afin qu’ils rejoignent les pâtures, pour sortir les baignoires en zinc. Oh ! Elles n’étaient pas de première jeunesse ! Elles avaient été souvent rapiécées par les rémouleurs qui passaient une fois l’an dans chaque village de la région. On avait pris soin de tirer l’eau fraîche du puits afin qu’elle prenne quelques degrés sous l’ardeur du soleil qui, lorsqu’il arrivait à son solstice, plombait la cour de la ferme, recouverte de pavés grossiers.

    Généralement, les jeunes enfants étaient laissés à la garde des plus anciens qui ne pouvaient plus suivre le reste de la famille pour effectuer les travaux des champs qui allaient bon train en cette saison. Quand on avait jugé que l’eau était à bonne température, l’autorisation était accordée pour que le bain puisse enfin commencer. Soudain, le miracle s’accomplissait, le rêve se matérialisait.

    Certes, ce n’était pas l’air du grand large saturé d’iode et d’odeurs de marée, qui flottait dans l’espace surchauffé que ne parvenait pas à rafraîchir une brise que l’on pensait essoufflée, mais en fermant les yeux il était facile de construire un autre décor.

    Les enfants n’avaient pas à faire de gros efforts, pour créer autour de leur baignoire, une belle plage de sable fin comme celles qui s’étalaient sur les pages des magazines de l’époque. L’imagination fertile leur laissait voir avec attendrissement se former à deux pas de l’horizon des vagues qui, au fur et à mesure qu’elles avançaient, s’amplifiaient à ce point qu’elles devenaient énormes et effrayaient les baigneurs qui reculaient prestement.

    Il est bien connu que lorsque l’on est jeune et que le bonheur se tient près de nous, l’ambition et le rêve savent se montrer généreux. Ainsi, dans la cour chauffée à blanc, ce n’était plus le caquètement des volailles qui prenait le pas sur les autres bruits, mais les cris et les appels des mouettes rieuses, volant en rasant les flots à la recherche du poisson imprudent ou curieux. L’eau que les mains agitaient dans les modestes baignoires avait tôt fait de se transformer en d’énormes rouleaux qui venaient se fracasser avec fureur sur les rochers qui les attendaient de pied ferme. Fâchés d’être empêchés d’aller plus loin à l’intérieur des terres, ils explosaient en de gigantesques feux d’artifice d’une eau écumeuse, faisant des arcs-en-ciel se faufilant à travers les rayons du soleil. Dans les songes des enfants, ce n’étaient plus les claquements des roues de charrettes lourdement chargées des dernières gerbes de blé qui résonnaient sur les pavés disjoints, mais le chuintement de celles des tombereaux des goémoniers sur le sable humide.

    Quand l’eau venait à manquer dans la baignoire, la grand-mère qui veillait toujours sans arrêter son tricot versait de nouveaux seaux sur le dos des enfants.

    Il ne leur fallait qu’un instant alors, pour qu’ils croient que c’était une vague plus forte que les autres qui les submergeait.

    Sur cette plage imaginaire, les rires et les cris résonnaient entre les murs qui prenaient un malin plaisir à se les renvoyer en les amplifiant. Les enfants baignaient littéralement dans leurs rêves ; et si à cet instant on le leur avait dit qu’ils étaient au paradis, ils n’auraient pas eu à faire beaucoup d’efforts pour s’en convaincre.

    Après le bain inoubliable, tout à leur bonheur, ils n’étaient pas loin de penser comme les adultes. Effectivement, l’autre mer, la grande, pouvait bien attendre quelques années de plus, au moins jusqu’à ce temps où les songes s’évaporent dans les esprits des enfants devenus des hommes.

     

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00048010


  • Commentaires

    1
    Vendredi 27 Janvier 2017 à 14:13

            Bonjour  René ..
    Pour  des familles  qui  comme  nous  avons  vécu  prés de  la  Méditerranée ,  il est  certain  que  le  bruit des  vagues  ,le  chant  des  mouettes , l'odeur  de  l'iode et les promenades  sur  la  plage , étaient  devenu  le  paysage indispensable  dans  notre  vie  de  tous  les  jours ..  Plus tard  avec  le  temps  nous  avons  appris aussi   a  découvrir  la  montagne ,  c'est  différent  et  tout  aussi  merveilleux  quand  on  sait  la regarder ..
    Bon  Week-end  mes  amis  lointains ..
    Amitié  des  US ..
    Nicole   

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