• QUAND LE CHEMIN EST LONG

    – Mon ami, je ne saurais me plaindre que la route sur laquelle nous avons avancé soit trop longue. Cependant, j’avoue non sans une certaine honte qu’à mes pas, elle devient pénible.

    – Je devine ma belle petite fleur sauvage, ce que tes maux veulent dire aux miens. Il y a beau temps que tu as tourné le dos à la douce prairie où en compagnie de tes jolies voisines vous rayonniez sous les caresses d’un soleil insolent. Son complice le vent vous balançait les unes contre les autres, et vous pouviez alors vous frôler en frémissant de plaisir.

    – Tu ne changeras donc jamais, mon amour ? Tu es demeuré le flatteur que j’ai toujours connu. Quand je t’écoute, j’ai le sentiment que le pré dont tu parles, tu n’as jamais eu le courage de le quitter. C’est comme si tu y avais pris racine, en quelque sorte.

    – Ma chérie ; si je ne m’étais pas éloigné de l’endroit où je te cueillis, serions-nous là, égarés dans ce vacarme envahissant la vie des citadins, tandis que nous étions si heureux au milieu de la nature, nous dirigeant vers où nos pensées nous guidaient, mais prenant soin de ne jamais abandonner la lisière de nos belles forêts ?

    – Je le reconnais ; nous nous mettions à la disposition du temps. Nous flânions quand il nous plaisait d’accorder un répit à notre amour, prétendant que rien ne nous pressait d’arriver à demain.

    – J’adore, quand tu parles si bien de ces années qui nous virent gravirent les pentes de l’existence à la façon que nous avions d’escalader les flancs des montagnes. Nous étions si heureux, au sommet de celles-ci ! En riant, nous prenions le ciel à témoin et lui confions des prières inédites, que nul évangile ne transcrit.

    – Je me souviens, doux ami. Nous tendions nos bras vers le firmament, comme pour lui adresser des caresses, afin qu’il explique aux hommes que la tendresse n’est pas un vain mot.

    – Nos regards se dirigeaient vers la plaine, et nous recherchions les endroits secrets où nous nous réfugions afin de ne pas être éclaboussés par les malédictions du monde qui était à la recherche d’un second souffle. Les branches basses des arbres des forêts peuvent témoigner de notre passage, car sur chacune d’elle, telle une mue, nous abandonnions des lambeaux de notre bonheur, pour que d’autres les découvrent et se convainquent qu’il existe bien.  

    – Un jour, beau séducteur, tu me dis que ces fragments ressemblant à des exuvies seraient également des repères pour nos enfants s’il leur prenait l’envie de remonter le chemin jusqu’à nous, à travers les saisons de leurs parcours.

    – C’est vrai, je le prétendais, mais en secret, je le souhaitais aussi. Toutefois, je n’étais pas sans savoir que le bien-être des uns ne doit jamais faire de l’ombre aux autres. Nous avons chacun une histoire à écrire et nous ne pouvons emprunter les mots de ceux qui ont terminé la leur.

    – Alors, nous avons mis quelque distance entre eux et nous, jolie fleur. Je me souviens que tu me disais que nous ne pouvons évoquer la saveur de la mangue avant de l’avoir cueillie et dégustée.

    – Oui, en effet, il s’agit bien de différencier le bien du mal, le beau du laid, et le doux du rude. Mais ils devront également découvrir que les larmes n’ont pas le même goût, selon qu’elles viennent du cœur ou d’une blessure superficielle.

    – Nous arrivons au sommet de notre dernière difficulté, cher ange. Nous avons atteint l’époque à travers laquelle nous pouvons parler en toute objectivité. De toute évidence, nous n’avons aucune raison de mentir ni de nous voiler la face. Les faits démentiraient immédiatement les étapes de la vie que nous voudrions embellir ou revêtir d’autres nuances que celles qu’elles avaient endossées. Cependant, et ce n’est pas une nouveauté pour toi, puisqu’au long de mon parcours, j’ai toujours ressenti le besoin d’être rassurée, une fois encore je vais te poser cette question que tu connais si bien. Après toutes ces années, m’aimes-tu avec la même passion ?

    – Comme souvent je le fis, je te répondrai sans chercher mes mots. Comment pourrai-je me tenir à tes côtés si ce n’était pas le cas ? Oh ! Je ne dirai pas que rien n’a changé, car les saisons sont passées sur nous, et comme le temps patine les vieilles pierres, sur nous il a dessiné des rides et des douleurs. Oui, certaines attitudes ne sont plus les mêmes. Et en ce jour, ceux qui nous regardent déambuler ne se doutent pas que si nous ne nous donnons plus la main, comme hier, c’est que nos pas ne sont plus aussi sûrs. Aujourd’hui, plus que jamais nous avons besoin l’un de l’autre. Nos bras autour de nos corps nous rassurent avec une semblable passion, qui unit nos cœurs. Es-tu satisfaite de mes paroles ?

    – Oui, elles n’ont jamais changé d’un seul mot. Au-delà de ce qu’elles racontent, je devine qu’elles veulent que nous continuions d’avancer, mais en prenant le temps nécessaire pour nous délecter de tous les nouveaux jours qui nous attendent.

     Amazone. Solitude. Copyright 00061340-1


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