• – Je me doute que dans les esprits de chacun l’intitulé de mon billet ne sera pas qu’une longue mélodie ressemblant à celle qui force notre corps à tournoyer, cherchant celui du partenaire, comme pour le transformer en une protection, afin de ne pas nous faire enivrer par le flot des notes virevoltantes en nos pensées, imitant les robes des belles dames. Cependant, depuis toujours, ayant eu le privilège d’avoir vécu dans la nature, j’ai associé la vie à la musique du temps qui jamais ne s’épuise, sinon en de rares instants pendant lesquels les acteurs reprennent leur souffle.

    Le jour et la nuit ont choisi depuis la première aube, leurs partitions préférées. C’est qu’à l’heure où les couleurs se confondent, dans la tiédeur de la déclinaison de la lumière, nous assistons à une sérénade qui ne laisse pas indifférente les mélomanes affirmés ou en devenir. Souvent, elle se prolonge plus avant dans le soir, à moins que nos sens abusés n’aient pas surpris le changement des artistes sur la grande scène de la forêt. Comme un prélude aux ténèbres qui s’installent, les stridulations de milliers d’insectes annoncent au visiteur d’un moment qu’ils sont à la recherche de l’âme sœur et qu’ils ne veulent pas être dérangés. C’est que sans cesser de chanter ils se transmettront cette vie, née, elle aussi, d’une composition savante. Alors, laissant nos pensées vagabonder, nous nous surprenons à imaginer que le créateur ne fut pas qu’un grand architecte, mais qu’il était également un immense musicien. Sinon, qu’en serait-il de tous ces impromptus merveilleux qui semblent tomber tout droit d’une partition géante ? Ce que nous prenons pour un bruissement n’est autre que la mélodie du vent dans les ramures. Il va chercher au loin les compositions qu’il aime traduire en les mélangeant pour en faire des chansons métisses qui savent faire onduler les corps. Ainsi, dans la moiteur tropicale, d’heure en heure, les orchestres se succèdent afin que les danseurs ne trouvent jamais un instant de répit. L’horizon signale aux acteurs qu’il sera bientôt l’heure de céder la place aux troubadours qui enchanteront le jour. Les griots qui ont animé les ténèbres se lancent dans des accords lancinants, comme pour indiquer qu’après une nuit d’ivresse, il est temps de rentrer se reposer. Une dernière mélopée est interprétée. Elle est destinée à consoler les cœurs déçus ; puis, une à une, les étoiles s’éteignent, la salle se vide, tandis que du côté de la mer, l’alizé s’élance pour balayer les poussières de la fête, en même temps que les lambeaux de rêves inachevés.

    Au loin, le souffle du vent apporte le bruit de l’océan, heureux de retrouver un peu de clarté. Il va enfin pouvoir envoyer ses vagues vers le rivage, où elles vont rouler à ses pieds en signe de soumission. L’aubade se précise, par quelques rimes lancées au hasard. Prudemment, le nouveau chef d’orchestre attend, quelque instant pour s’installer à son pupitre, baguette en main, que la brume termine de déposer dans les cœurs une perle de rosée pour laver les fleurs des souillures de la nuit. Soudain, il lève le bras, tandis que le troglodyte piaffait d’impatience. La forêt retient son souffle. L’oiseau gonfle son jabot, et inspire une grande bouffée d’air frais. Dans cet état, il redoute que le maestro mette trop de temps avant de donner le signal de départ. De la gorge du volatile, la note s’envole telle la délivrance après des années de privations. Il chante en sautillant de branche en branche, va à droite, s’élance vers la gauche, monte, et descend afin que dans la campagne personne n’ignore qu’un nouveau jour est en chemin. Alors, venus on ne sait où, des milliers de chœurs retentissent. Les musiciens invisibles interprètent les plus belles symphonies. La vie devient une valse, que les oiseaux traduisent par des arabesques savantes. Les partitions s’enchaînent, et la nature, heureuse, applaudit en incitant les ramures à s’incliner en mesure. La crique apporte sa contribution mêlant son onde qu’elle fait bruisser sur les petites cascades. Le bonheur est revenu s’installer dans les prairies et dans les champs où les premières chansons des travailleurs vont à la rencontre de celles venues de la sylve mystérieuse. Les danses seront calquées sur les différents instants de la journée, car l’existence sait mieux que personne que l’on ne peut passer son temps à valser, sous peine d’étourdissement.

    Cependant, les hommes ne désirant pas être les parents pauvres de la fête qui s’annonce ont recours aux radios et autres instruments diffusant de la musique. Ils ouvrent en grand les portes et fenêtres afin que leurs airs préférés aillent rejoindre les interprètes de la sérénade qui semble vouloir grignoter des heures au jour. Qu’il serait beau, cet interminable matin, alors que le monde respirerait en cadence, oubliant pour quelque temps les évolutions de la vie.

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    Photo : Aquarelle de Françoise Foglia-Viquerat

     


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  • – Il est ainsi, mon océan, capricieux, volontaire, imprévu. Vous me direz qu’il n’y a rien de surprenant à cela, car il ne fait que revendiquer la place qui lui revient. Certes, on me répondra qu’il ne l’a jamais vraiment perdue, mais à force de lui déverser nos déchets de toutes sortes depuis des décennies, nous ne devons pas nous étonner si de temps à autre il lui prend des sautes d’humeur. Comme pour nous en excuser ou nous en défendre, nous crions haut et fort que nous ne sommes pas les seuls. La nature elle-même à une part importante dans ce phénomène de pollution. Oui, nous nous efforçons de le passer sous silence, cela a de quoi surprendre, mais elle commet parfois des erreurs dans sa manière de concevoir les éléments ; à moins que, dans son grand catalogue universel, certaines pages aient été volontairement oublié d’écrire.

    Quoi qu’il en soit, nous appartenons de gré ou de force à l’immense mouvement perpétuel et souvent je me demande si nous avons bien compris le sens de la marche que nous devions suivre, tant il nous arrive de courir à contre-courant. Quand le produit de la création réalise des erreurs, il fait en sorte de le minimiser, à tout le moins d’inventer des images pour nous distraire des fautes commises, en nous obligeant à diriger nos regards vers un éclat particulier qui nous fait nous ébaudir. Ainsi, imitant les papillons allons-nous, d’une fleur à une autre, nous enivrant de leurs fragrances et de leurs nectars, délaissant ce qui nous paraît être une négligence, ou autre chose qui nous dépasse. Car, avouons-le, dans notre milieu, elles sont nombreuses les choses dont nous ne possédons pas les tenants et les aboutissants. Il nous arrive même d’inventer des mots, pour expliquer les événements particuliers ; mais qu’en fin de compte, une fois dits, nous sommes toujours aussi innocents qu’avant. Pour comprendre le mécanisme de tout ce qui est en mouvement sur la Terre, il nous faut déjà l’aimer. Or, pour l’heure, notre démonstration d’amitié fait pitié, en regard à nos agissements. En fait, nous sommes probablement les seuls êtres vivants qui scient la branche sur laquelle nous sommes assis, plutôt que de nourrir l’arbre pour qu’il devienne grand et fort, capable d’accueillir une famille plus nombreuse.

    Cela dit, vous me reprocherez de m’être quelque peu égaré. Ne parlions-nous pas de l’océan et de son caractère ombrageux ? Associés au ciel, ils s’entendent très bien pour nous transformer en des gens heureux ou nostalgiques, entreprenants ou démissionnant. Et en ce jour qui me surprend à laisser mes pensées chevaucher les vagues, je souris à l’idée que l’eau et le firmament ont sans doute de vieux comptes à régler. L’un a dû prendre ombrage de la nouvelle couleur imposée par l’autre, alors que ce dernier vexé qu’on ne cesse de le prendre pour un miroir s’est soudainement rembruni. Il est vrai que la pauvre mer océane avait certainement rêvé d’un accueil au moins égal à celui que l’on réserve aux grands personnages. Ne vient-elle pas elle aussi d’un lointain rivage, et pour la remercier, celui qui la reçoit dresse devant elle des rochers pour briser son élan ? Certes en quelques endroits, une bande de sable met une plage à sa disposition ; mais elle devine parfaitement que ces lieux ne suffisent pas à ses vagues qui aiment s’y enfouir avant de retourner vers l’immensité mouvante, qui les a créées, et sans cesse les envoie comme des conquérantes sur un nouveau territoire. Elle sait aussi que cette grève dépourvue de végétation n’est qu’éphémère. Dans peu de temps, le cycle d’envasement va reprendre sa marche interrompue par le phénomène somme toute ordinaire de l’effondrement du plateau continental. Aussitôt le processus engagé, la mangrove retrouvera ses droits. Sur ses hautes racines aériennes, les rouleaux vont se déchirer puis se glisser jusqu’à la rive. Alors que je parlais d’erreurs, pour se faire pardonner, notre mère Nature sait inventer des tableaux hors du commun. D’un lieu désolé elle va en faire une forêt qui deviendra une nursery pour de nombreuses espèces d’oiseaux et d’insectes. Mais on retiendra surtout que son rôle premier est celui d’empêcher l’océan, dans ses moments de mécontentements de reconquérir la place qui était sienne, avant que les Terres émergent.

    Pour assister la côte dans sa lutte avec les éléments, les fleuves lui apportent une aide précieuse. Ils arrachent au continent une partie de son âme qu’ils déposent tel un bouclier, comme pour indiquer à la mer que ses sirènes n’ont pas droit de cité là où les déesses de l’eau prennent leurs bains, à l’abri de la houle.

    Toujours est-il, que la grogne de l’océan n’est pas prête de se calmer, car la saison qui se profile sur l’horizon fournira beaucoup de fard, que sa surface mettra à profit pour l’isoler des regards indiscrets du firmament plusieurs mois durant, renvoyant le ciel et sa cohorte de nuages vers les lointaines Antilles. Là-bas, ce sont les fonds marins qui seront mécontents d’être ainsi exposés à la vue de tous, priant pour que la nuit descende plus vite et surtout reste plus longtemps posée sur ses flots.

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    – Je sais très bien ce que mon geste va générer comme réflexions dans de nombreux foyers. Mais comme il ne peut y avoir d’impulsion sans désir, je me dois de vous expliquer ce qui me pousse à vouloir gravir les échelons plus vite que la raison me le conseille. Autour de moi, j’entends les parents qui ne cessent de répéter à mes aînés de se presser de grandir, tandis qu’à moi on se complaît à raconter des histoires de princes, de fées, de dames qui s’ennuient, prisonnières dans des tours si sombres que l’on penserait que le jour jamais n’y pénétra. Dans notre demeure, il y a autant de comportements qu’il s’y trouve de personnes. Aux uns, on recommande de faire ceci, et aux autres on prédit cela ; mais du haut de mon jeune âge, j’ai bien remarqué, que chaque individu faisait selon sa volonté ou ses croyances. Autrement dit, j’en déduis que les gens sans cesse ouvrent le parapluie afin de mettre en paix sa conscience. Rassurez-vous, je ne viens pas d’inventer de telles citations. Elles ne sont que le fruit de mes écoutes, car vous l’aurez deviné, je suis curieuse de tout.

    L’éducation ressemble à une fenêtre. Elle permet à la lumière du jour de pénétrer dans la maison pour le plus grand plaisir de tous, mais elle obscurcit les pensées des jeunes enfants, à l’instant où on leur recommande de ne pas s’en approcher afin de ne pas voir ce qui se passe au-dehors. Me concernant, vous l’aurez deviné, par cette ouverture, je ne me suis jamais privé d’y plonger mon regard. Oh ! je vous rassure ; à travers les vitres, rien d’extraordinaire n’a choqué mon esprit éveillé. J’ai surtout découvert que les parents croyaient bien faire en parlant de destriers sur lesquels se trouvent le chevalier et la princesse qu’il vient d’enlever, caracolant en soulevant des nuages de poussière, tandis que la dame assise en amazone a les cheveux flottant dans le vent. Ils s’enfuient par la campagne où dans quelque château, ils vivront leur idylle à l’abri des regards envieux.

    À force d’entendre dire qu’il est temps d’évoluer, et de suivre le destin qui nous courtise et nous indique le chemin, qu’il nous a choisi, avant de m’y lancer, je veux quand même me rendre compte de ce que les meilleurs auteurs que l’on tient hors de ma portée ont écrit concernant l’existence. Certes, je suis pressée d’apprendre, mais partir à l’aventure sans idées précises relèverait d’une parfaite inconscience. Ce serait une hérésie de ma part, alors que je prétends être au fait de la vie, malgré mon jeune âge.

    Vous me jugez prétentieuse ? Il vous appartient de le penser. Cependant, faisant la sourde oreille à toutes les réflexions et les non-dits, je ne suis pas sans savoir que grandir est un phénomène naturel que nous subissons malgré nous, et que jour après jour, il en sera ainsi jusqu’au dernier, et que chacun dépose en notre esprit une science nouvelle, des images qui ne craignent plus de se montrer à la lumière et des connaissances nullement avares des leurs.

    Oui, voilà qu’il me prend l’envie de m’installer à la table de la vie, sur laquelle sera servi le plus beau festin qu’aucun grand chef de cuisine n’a jamais concocté. Je devine que les plats s’y succéderont et que chacun d’eux sera composé d’ingrédients venus de tous horizons. Vous craignez que je fasse une indigestion à cause de tous les mets auxquels j’aurai goûté ? Rassurez-vous ; la connaissance à mon humble avis n’a jamais encombré la tête de ceux qui sont prêts à l’accueillir et le distiller comme on le fait des meilleurs fruits que l’on transforme en boisson exquise ; pas plus que les lèvres s’écorchent par le flot continu des paroles, ou que la vue se dégrade à l’exposition de la lumière qui flatte les choses en mettant en valeur les nuances. Ce n’est pas le savoir qui tue les gens, mais l’ignorance dans laquelle ils auront erré durant leur passage sur la Terre.

    Je sais, certains penseront que mon esprit même s’il est précoce n’est pas apte à recevoir toutes les informations ni à les disséquer comme le font les grandes personnes. Toutefois, je vous ferai remarquer que ma raison n’en est qu’à ses débuts, et que pareille au sac de blé, elle attend que le grain le remplisse. Il lui importe peu de connaître où finira son contenu. Il devine, pour en être issu, qu’une part est réservée à la nouvelle semence ; une autre est destinée à être transformée en froment, et une certaine quantité sera le quotidien de certaines volailles. Il en sera ainsi de lambeaux de vie que j’aurai récoltée depuis ma tendre enfance. Tous ne seront pas utiles dans l’immédiat. Il me suffira de plonger la main dans mon sac quand sur mon chemin une faim me tenaillera.  

    Alors, ignorant les critiques, puisqu’en moi, je ressens quelque chose comme le printemps à l’instant où il envahit le monde, je comprends que le temps de vivre sonne à la porte de mon âme, et que je serai idiote de ne pas lui ouvrir.

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    – Comme souvent il m’arrive, pour trouver un moment de bonheur, il me suffit de rejoindre la forêt qui semble attendre ma visite. Comme à chaque fois où je la retrouve, elle me laisse croire que pour m’honorer, elle va encore se surpasser. Elle devine que je suis sensible à ses charmes, et que je succombe rapidement à toutes ses offrandes. Elle sait que je ne suis pas exigeant et que si elle dépose à mes pieds une feuille qu’elle aura tout exprès détachée de l’arbre à mon intention, j’y découvrirai forcément une histoire. Plus loin, c’est un oiseau qui se montrera pour m’induire en erreur, craignant que je me fasse trop curieux quant à son nid et sa couvée. Continuant d’arpenter le layon, il m’arrivera de déranger un serpent encore repu de son dernier repas, ou un agouti surpris dans ses recherches de nourritures enterrées en des lieux qu’il a oubliés.

    Soudain, c’est une bande de singes qui font les curieux. Ils devinent vite si vous êtes un ami ou un ennemi. Vous comprenez qu’ils ne craignent rien de vous quand ils descendent d’un étage pour mieux vous observer. Puis, sans que nous sachions pourquoi, ils se désintéressent et remontent vers la canopée. Néanmoins, les images ont eu le temps de s’incruster en votre mémoire, et malgré vous, vous vous surprenez à sourire. C’est alors que, ma photothèque visuelle enrichie de nouveaux clichés, je reprends mon chemin. Cependant, il arrive aussi que la forêt se fasse discrète, parfois très silencieuse. Oui, cela peut en étonner certains, mais à certaines heures, c’est le calme total dans l’immense cathédrale, d’où ne s’élève aucune prière et encore moins de litanies. Même le célèbre piauhau hurleur, plus connu sous le sobriquet de concierge, est muet. Absents, les bruissements dans les ramures, pas de pics verts qui martèlent les troncs. Étrangement, les cigales font relâche, invitant les mélomanes à un prochain concert. C’est sans doute l’heure de l’étale, me dis-je à voix basse afin de ne rien déranger dans le décor. L’alizé doit être à rôder en quelque lieu de l’océan, se désintéressant de la forêt, qui semble ne plus respirer. Je m’arrête un moment, pour imiter les éléments. Je sais que la vie reprendra sur Terre à l’instant où la mer ordonnera à la première vague d’aller polir le sable de la plage, sur laquelle les palétuviers ont retrouvé leur place, après une longue absence.

    C’est alors que je laisse mon esprit en faire à sa guise. Sans que je le sollicite, il recherche dans ma mémoire où dans cette merveilleuse sylve, je connus d’intenses émotions, comme en ce dimanche matin, où, sabre en main, par mesure de sécurité plus que pour travailler, j’allais sous les grands bois à l’heure où la nuit finissait d’essuyer ses songes sur les ramures, en enveloppant les plus beaux dans d’immenses voiles transparents de brume. Le pipirit chantant avait déjà sonné le réveil. Les parakwas, afin de ne pas perdre une minute de leur précieuse journée, s’appelaient et se répondaient. Les perroquets débattaient à grand bruit du prochain lieu de nourrissage, tandis que les toucans après quelques cris de reconnaissance fendaient les airs de leur vol incertain. Mes amis, si vous n’avez pas encore vécu ces moments privilégiés de lever du jour en forêt, je vous en prie, ne tardez plus. Vous ne saurez pas où regarder, quoi écouter, ni vers où diriger, tant le spectacle est grandiose.

    Mais si vous surprenez comme moi, dans le layon fraîchement ouvert, une connaissance de poids, vous ne pourrez plus jamais oublier cette rencontre. Là, à quelques mètres devant vous, un magnifique tapir marchant d’un pas de sénateur, ce croyant sans doute seul au monde. Brusquement, sur la droite, un grand tamanoir allait lui couper la route, ce qui eut pour effet de l’effrayer. Instinctivement, devinant un danger, il veut rebrousser chemin et… me découvre stoïque. Qu’importe, il prend son élan pour emballer ses centaines de kilos et part presque comme une fusée, pour s’arrêter quelques longueurs après. Il se retourne à nouveau, et estimant qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter, va jusqu’à la rivière. Je continue du même pas, et j’ai encore le plaisir de surprendre un tatou se roulant dans une mare de boue. Plus loin résonnent les discussions tranquilles des singes hurleurs qui se désolent de ne pouvoir se dire des mots doux sans que tout le monde les entende. Étonné, je le suis quand mon regard tombe sur une pigeonne qui couve, sans se demander ce que je fais ici, puisqu’elle a décidé de ne pas bouger du nid. L’avènement est sans doute pour aujourd’hui.

    C’est l’heure à laquelle la forêt est maintenant bien réveillée. Des dizaines d’oiseaux s’interpellent sans que je les voie. Dans le lointain, je crois reconnaître les feulements d’un jaguar en quête d’aventure amoureuse. C’est alors que je me dis que, quand on a découvert en si peu de temps autant d’émotions, nous ne sommes plus jamais les mêmes personnages. Peu importe les artifices de tous genres ; aucun n’égale ceux que la nature met à votre disposition le plus grand théâtre du monde. On y rit, parfois on peut y pleurer, mais jamais nous ne sommes indifférents aux merveilleux tableaux qui s’y succèdent ; surtout à celui qui prend naissance à l’instant où l’étale prend fin, et que des discrets murmures la respiration de la sylve devient brouhaha.

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  • – Mère, j’hésite à te confier les sentiments qui ne cessent d’agiter mon âme depuis quelque temps.

    – Ma fille, si tu crois que je ne me suis pas aperçue que depuis bien des mois, pour ne pas dire des années, ton esprit est encombré, alors c’est que tu ne sais pas encore que, parce que je suis maman avant d’être femme, j’éprouve les mêmes angoisses qui bousculent tes idées. Et si tu ne les exprimes pas, qui pourra soulager ta conscience ?

    – C’est que mes pensées sont tellement embrouillées, qu’elles m’effraient presque. Ce n’est pas un cerveau que j’ai dans le crâne, mais un écheveau bien emmêlé et que je ne trouve pas le bout qui me permettrait de le mettre dans le bon ordre.

    – Autant te dire de suite, ma Charlotte, que tu n’es pas prête à le découvrir, ce morceau, si tu persistes à le maintenir enfoui dans l’épaisseur de la pelote de laine livrée à elle-même. Et je ne puis être d’aucun secours, si tu ne prononces pas le mot qui nous ferait accéder à tous les autres.

    – Je suis certaine que tu vas te moquer de moi. Des filles de mon âge, je suis la seule qui n’a pas encore trouvé son âme sœur. Toutes mes amies sont fiancées ou mariées, et certaines d’entre elles sont d’heureuses mamans. J’en conclus donc que sans doute je ne suis pas ordinaire, puisque devant ma porte, aucun prétendant ne m’attend, et encore moins, trépigne d’impatience. Alors, il me vient une question : toi, avec un cœur si jeune, te serait-il arrivé pareille aventure ? Est-ce que toutes ces questions ont hanté ton esprit ? As-tu épousé papa rapidement, ou la vie a-t-elle été généreuse avec toi, avant de le rencontrer ? Tu n’es pas obligée de me répondre ; je comprendrai que tu veuilles garder intact ton jardin secret.

    – Ma chère fille ! Je reconnais bien là ton caractère anxieux, et ce désir de savoir qui se tient derrière la porte, avant même que l’inconnu se décide à frapper. Tes questions ne me dérangent pas. Bien que je ne sois pas une personne âgée, je puis te dire que de mon temps, nous ne nous posions pas toutes ces énigmes. Nous allions au-devant de la vie, simplement, avec, accrochés à nos lèvres, un sourire éclatant. Est-ce qu’il y eut des soupirants sur le seuil de notre maison ? Bien sûr, car comme le prétendait mon papa à cette époque, où éclot une jolie fleur, les papillons ne tardent jamais ! Cependant, nous ne nous laissions pas enivrer par le vol de ces chers lépidoptères, pas plus que par leurs beaux discours. D’ailleurs à ce sujet, mon père disait aussi que lorsque quelqu’un débite des flots de paroles, c’est qu’il cherche à noyer le poisson. En conséquence de quoi, il demeurait sur ses gardes et campait sur ses positions.

    – Mais cela ne t’empêcha pas de trouver celui à qui tu confias ton destin. C’est donc qu’il convenait à tes espérances, avant de plaire à ta famille. Tandis que moi, j’estime que nos jeunes gens sont un peu comme une sauce sans ingrédient ; ils sont fades. Leurs conversations sont pauvres comme une savane après un incendie. Ils ne semblent pas s’intéresser à l’avenir sinon celui qui dessine le lendemain, sans se préoccuper de ce que sera la semaine suivante. Ils me donnent l’impression de n’avoir fréquenté l’école que le jeudi, tant leur vocabulaire est dépouillé, alors que nous sommes en droit d’attendre d’eux qu’ils nous éblouissent au fil des phrases. Au lieu de cela, pas un mot ; aucune réflexion nous permettant de nous pâmer ! Et quand tu en trouves un qui pourrait se différencier des autres, il m’étouffe avec son savoir qui lui sort par tous les pores de la peau.

    – En fait, ma Charlotte, si je te comprends bien, tu le veux parfait, ayant sans doute les mêmes idées que toi. Mais cela va contre la loi de la nature, ma chérie. Ce sont les contraires qui s’attirent. Les aimants se repoussent. Donc si tu es nerveuse, un calme te conviendra. S’il est rêveur, à ses côtés il aura besoin de quelqu’un qui lui construira ses songes. Mais surtout, dans la corbeille du mariage, il vous faudra déposer beaucoup d’éléments de vos personnalités, car un couple idéal est celui dont les sentiments se complètent sans se faire de l’ombre. Il faut vivre intensément ensemble, mais aussi écouter ce que l’autre a à nous dire. Tu sais, ma chérie, l’existence n’est pas un cours de sciences naturelles, nous n’avons pas vocation à disséquer notre conjoint, et nous ne sommes pas non plus des mantes religieuses qui dévorent le mâle après le coït. Nous sommes faits pour évoluer dans une parfaite harmonie, partageant tous les instants. Tantôt, ils seront joyeux, parfois plus tristes. Mais nous devons les accepter comme ils se présentent.

    – Alors, je comprends que je ne suis pas prête à confier mon destin à quelqu’un. Vous allez devoir me supporter encore un moment !

    – N’élève pas la barre, ma fille. Tous les jeunes gens ne sont pas des adeptes du saut en hauteur. Il leur faut de l’entraînement, et il n’est pas impossible que tu deviennes leur professeur.

    – Il n’en est pas question, maman. Tu ne veux pas aussi que je leur tienne la main et que je change leurs langes !

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