• RETOUR AU PAYS

    – Avant d’approfondir mon propos, je tiens à rassurer mes amis de Guyane. Il n’est pas question pour moi de quitter mon petit coin de forêt. Je vous explique en quelques mots la raison qui motive le titre.

    Je rentrais (par l’intermédiaire d’un réseau social bien connu) d’une visite dans le village qui m’a vu grandir, en regardant de nombreuses photos que ma camarade Mireille dépose de temps en temps dans ma boîte à lettres. Elle-même, ayant vécu cette époque d’un autre âge qui nous trouvait parcourir les rues et les environs, quand elle met la main sur de beaux reportages, elle ne manque jamais de m’en faire profiter. C’est donc dans ce village que mon cœur d’homme s’est construit, que mes sentiments ont distingué les jours, si vous me permettez l’expression, car avant de découvrir les couleurs du ciel, ils durent lutter pour se démêler. En moi, en ce temps particulier, c’était à la fois un volcan qui crachait sa lave, la terre qui n’en finissait jamais de trembler, ainsi qu’un raz de marée, puisque le mot tsunami n’avait pas encore franchi les limites de la patte-d’oie, près de l’ancienne gare. Bref, vous comprendrez que dans un matin d’automne, (1960) alors que la voiture roulait vers la préfecture du département, je n’eus pas un regard pour ce bourg d’un autre siècle, qui, de moi avait volé le meilleur de ma modeste existence. Parfois, je me demande si réellement j’y ai été enfant, tant les années y défilèrent si vite. Je crois bien, sans pouvoir me tromper, qu’en fait, je suis devenu adulte avant d’être adolescent. Cependant, je n’en conserve aucune rancune, car ne dit-on pas justement qu’en vieillissant on y retombe ? Et heureusement pour moi, il me semble que je ne suis plus éloigné de cette époque qui crée en nous une sorte d’insouciance, nous laissant imaginer que le meilleur se trouve toujours présent en même temps que le lever du jour.

    Le jour, précisément, j’étais bien placé pour le voir apparaître, car par les travaux que l’on me faisait exécuter de nuit, je le surveillais quand il dessinait ses couleurs au-dessus du village. Parmi les bons souvenirs, il y en eut quand même, j’ai profondément aimé les premiers bruits qui montent des demeures à l’heure où les gens se réveillent. D’un instant à l’autre, ce n’est pas que la clarté qui oblige les ténèbres à basculer dans l’oubli. Ce sont des centaines de sons de tous ordres qui construisent une rumeur particulière. Elle nous indique que la vie reprend possession des habitants, des bêtes et des choses ; et j’étais fier d’être le premier à surprendre cette existence qui s’insinuait dans les rues et les venelles, qui frappait aux portes des maisons et des ateliers qui ouvraient les leurs. D’abord timide, le bourdonnement s’amplifiait à mesure que le sablier égrenait le temps, car même dans les lieux les plus calmes, soudain, il y a un moment où chacun accélère. Oh ! Je vous rassure, personne n’avait l’intention d’arriver au soir avant son voisin ; mais les tâches abandonnées la veille semblaient tendre leurs bras vers ceux qui en avaient la charge, et bien entendu, à cette époque déjà, nul n’aurait refusé les siens pour achever le chef d’œuvre. Mais aux bruits, une sensation nouvelle ne tardait pas à me faire apprécier cette intimité bien matinale, allant  jusqu’à provoquer en moi des frissons. Non, ce n’était pas les appels des uns ou des autres, dont chaque voix en mon esprit savait celui ou celle qui le lançait. Ce qui me procurait le plus de plaisir, c’était les émanations qui s’échappaient de chez chacun. De nos jours, dans nos villes modernes et de tailles gigantesques, on ne connaît pas ce bonheur de deviner les éléments de la vie grâce à leurs senteurs. Il n’est rien comme un matin d’automne, tandis que le brouillard traîne toujours sur les toits, emportant les exhalaisons de chaque foyer, les disséminant dans la campagne. Ici, on reconnaît celui du pain que le boulanger est à sortir du four, ailleurs, une forte odeur de café qui profite du fait que la porte soit ouverte pour s’envoler dans la rue. Plus loin, ce sont les effluves du salon de coiffure, qui à sa façon, embaume les vieilles halles. S’échappant du cordonnier, c’est le cuir et les semelles que l’on vient de coudre ou de coller qui y vont de leurs effluences. Plus haut, du laboratoire du charcutier, on sait  que les rillettes cuisent depuis trois heures du matin. De chez le maréchal ferrant, c’est la corne oubliée dans le foyer qui diffuse à son tour, à grand renfort de fumée, une émanation particulière. Soudain, couvrant toutes les rumeurs, du clocher, s’envole l’angélus. Discrètement, où qu’ils se trouvent, les croyants feront un signe de croix. Puis, les premières charrettes traversent les rues, les sabots des chevaux claquent, la journée est maintenant bien commencée. Pour s’en assurer, il n’est qu’à écouter résonner la cloche qui appelle les écoliers. À chacun sa manière de faire les semailles. Le paysan, dans un geste ample, lance son grain vers la terre, tandis que l’instituteur, plus laborieusement, essaie d’enrichir des têtes qui scrutent déjà dehors, alors que leurs propriétaires sont tout juste installées.

    Voilà, mes amis, ce que le regard des autres personnes sur mon village fait naître en moi. Ils admirent ici et là, alors que moi, je suis heureux que les vieilles pierres ne puissent pas parler, car elles auraient beaucoup de souffrances à raconter. C’est sans doute pour cela que le temps les patine, comme s’il désirait qu’elles ne révèlent pas de secrets.

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00061340-1

     

    La photo est la propriété de Maleine Croisée-Créative.

    Il s’agit du village de Charroux, 86

     

     


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