• RETOUR VERS… LE PASSÉ

     D’aucuns prétendront que remonter le temps n’est pas une chose réalisable de nos jours. Cependant, il est vrai que certains se penchent sur la question depuis des siècles, mais toujours sans la moindre réussite. Les optimistes disent : « attendons », tandis que les pessimistes leur répondront que cela n’arrivera jamais, et que c’est très bien ainsi.

    Pourtant, quand je fais l’inventaire des événements qui n’auraient jamais dû voir le jour depuis l’âge auquel j’ai commencé à m’intéresser à notre environnement, les hommes en ont créé, des instruments, des machines, et avec certains d’entre eux, ils sont même allés sur la lune, qu’ils ont, depuis, laissée loin derrière de nouveaux appareils qui explorent le cosmos. J’avoue que je ne suis pas indifférent à tous ces exploits, mais si pour l’heure, ils ne me satisfont qu’à moitié. Suis-je devenu trop exigeant ? Sans doute. Mais il y a une raison à cela. Je vais brièvement vous la confier.

    Insistant comme ils le font, je me dis qu’ils finiront bien par localiser l’endroit où se loge la marche arrière de l’existence, et dès lors cette découverte, comme d’habitude dans toutes les inventions, celle-ci nous desservira comme de nombreuses innovations avant elle. J’ignore si vous l’avez remarqué, mais chaque fois que l’on fabrique quelque chose pour la paix, ce sont les militaires qui s’emparent du chef-d’œuvre. Bref, laissons-leur la paternité de leurs trouvailles et de leurs maux de têtes et autres migraines, pour en venir à ce qui, un beau matin, m’a séduit, alors que je faisais une sieste bien méritée dans mon hamac tendu sur la terrasse.

    Cet instant avait commencé par une magnifique averse tropicale, comme seuls nos cieux savent les imaginer. Elle fut subite, bruyante, dévastatrice. Les végétaux pliaient sous les hallebardes comme s’ils demandaient pardon pour avoir osé défier les éléments. Les traits de pluie étaient serrés comme des militaires pendant un défilé en pays nouvellement conquis. Mais pour ceux d’entre vous qui sont sous notre latitude, vous avez connaissance que ce genre de phénomène disparaît aussi vite qu’il est apparu, et alors que les nuages continuent leur chemin, l’espace, soudain se fend d’un merveilleux sourire, heureux du bon tour qu’il vient de nous jouer. J’allais m’assoupir précisément à l’instant où l’arc-en-ciel s’ancra dans la forêt voisine, monta lentement, prit appui sur le tamarin, pour rejoindre le firmament. Je l’observais un moment, et c’est l’instant où mes yeux virent en lui une extraordinaire passerelle pour permettre aux habitants de notre région de partir quelques jours vers des pays où leurs rêves les conduisent parfois.

    Je ne sus comment, ni à quelle heure je tombais dans un profond sommeil ? Sans doute que le miracle de la nature agissait sur moi comme un merveilleux et puissant élixir. Toujours est-il qu’en quelques secondes, j’avais inventé la fameuse machine à remonter le temps. Elle était colorée, disposée de telle sorte que je pouvais me rendre d’un continent à l’autre à pieds secs. Je ne perdis pas une seconde, et m’élançais à la poursuite du passé. Je ne pouvais pas me tromper, car je n’étais arrivé qu’à la moitié de la mer océane quand les tambours de mes amis les griots envahirent l’espace, comme pour me guider. J’accélérais ma course, heureux d’avoir déjà parcouru plus d’un demi-siècle. À mesure que j’avançais, les couleurs de ma route s’affirmaient. Il me semblait flotter dans l’air, tant mon chemin était doux. Tout à coup, alors que j’amorçais la descente vers le pays des ancêtres, je les vis. Ils étaient là, sur une même ligne, les plus anciens devant. Chacun me fit un signe auquel je répondis par un geste de reconnaissance. Soudain, mon cœur réclama pour sortir hors de sa cage. Il résonna jusque dans mes oreilles, mon sang accélérait sa course, ma vue se brouillait. Ils étaient à quelques pas de moi, heureux de me retrouver, puisque de larges sourires illuminaient leur visage qui n’avait pas pris une ride. Vous êtes là, m’écriais-je ! Saviez-vous donc que je venais ?

    – As-tu oublié mon cher, que nous avons toujours deviné vos faits et gestes ?

    – J’avoue que parfois, dis-je alors que le feu dévorait ma figure, il m’est arrivé de douter.

    – Nous avions notre petite idée sur le sujet, car tes prières ne sont pas souvent sincères, répondit l’un des personnages dont la tenue flottait dans le vent. Mais dis-nous plutôt la raison de cette présence inattendue, et surtout, pourquoi ne vous accompagne-t-elle pas ?

    – Elle se repose, père. Elle ignore mon escapade. Mais je lui rapporterais notre rencontre. En fait, mon désir n’était pas de vous déranger ; du moins, pas maintenant. Je voulais simplement retrouver le jour merveilleux où pour la première fois, je la vis. Je n’ai jamais oublié la douceur de son regard, la chaleur de son cœur à travers ses mains lorsque je les ai serrées. Ce fut le jour où le destin me permit enfin d’être heureux. Sans rien nous dire, car l’émotion était trop forte, nous venions de comprendre que nous ne ferions qu’une seule et même personne.

    – Tu désires vraiment retrouver cet instant ?

    – Oui, père, plus que tout.

    – Ce n’est pas recommandé, me répondit-il ; mais puisque tu insistes, avance vers le massif de roses de porcelaine. Elle se trouve derrière.

    C’est alors qu’une main douce parcourut mon visage. Je ne voulus pas ouvrir les yeux, par crainte de la perdre.

    – EH ! Bien, mon ami, que t’arrive-t-il, me dit une voix que je reconnus pour être la sienne ? Où donc étais-tu, que je t’entendais grogner et même sourire ?

    – Je sursautais si fort que je faillis tomber du hamac. L’arc-en-ciel, demandais-je ? Là-haut, il n’y est plus, mais dans l’appareil, il se trouve. Tu le retrouveras quand tu voudras, et tel que je te connais, il te suffira de le regarder en photo pour réaliser tous les voyages qu’il te plaira de faire.

     

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