• UN CONTE DE NOËL 1/3

    UN CONTE DE NOËL 1/3

    À l’intention des cousins, Yves et Francine.

     

    – Lorsqu’elle s’éveilla, toutes affaires cessantes, elle se précipita sur la terrasse. Les rideaux baissés protégeaient les lieux d’une pluie menaçante, les transformant en une bulle particulière qui voudrait isoler les habitants d’un univers hostile. Les yeux de la belle jeune fille trahissaient son impatience de découvrir le monde de la forêt qui, à son insu, pénétrait déjà son âme et investissait son corps entièrement. Les fragrances tropicales exhalaient leurs trésors comme pour saluer la nouvelle arrivante.

    Soudain, elle sentit courir dans ses veines ces parfums merveilleux, à l’instant où ils rejoignirent les rivières de son pays aux flots fougueux qui transportaient la vie, en faisant une pose sur le rebord de son cœur. Son hôte ne voulut pas la faire attendre plus longtemps devinant qu’elle était prête à toutes les folies pour apercevoir cette terre étrangère qui, prétendait-elle, l’appelait discrètement. L’un après l’autre, il releva les rideaux. On se serait cru au théâtre, alors que dans la salle, l’anxiété mêlée au plaisir arrivait à son apogée quand, doucement, les spectateurs impatients enfin voyaient les acteurs se pavanant devant les décors. L’instant où la jeune fille découvrit l’environnement qui semblait s’approcher d’elle jusqu’à la toucher restera à tout jamais indescriptible.

    D’abord, elle ne dit rien. Puis on ne sut lesquels des ah ou des ho étaient les plus nombreux. Il n’était pas nécessaire de la serrer contre soi pour entendre son cœur battre la chamade. Il secouait son corps avec tant de force que l’on était en droit d’imaginer que la forêt venait de la posséder. L’hôte ne voulut pas troubler l’instant magique où la nature procédait tel un peintre délicat, par petites touches successives. Elle était là, debout, presque tétanisée, tandis que ses yeux s’embuaient d’une brume qui imita étrangement celle qui emprisonnait le décor.

    Elle ne fit rien pour retenir les larmes heureuses d’être enfin libérées. Son corps allait même les chercher au plus profond d’elle-même, devinant qu’en ce jour qui ne ressemblait à aucun autre, elles n’étaient que les témoins d’un intense bonheur.

    Un passant ayant eu l’audace de marcher sur le sentier qui menait vers les grands bois n’aurait pas manqué d’être surpris en entendant l’élégante dame s’écrier d’un timbre puissant : Brickaville ! Brickaville !

    – Je suis chez moi, à Brickaville !

    Bien qu’émue, la voix exprima clairement les accents métis appartenant à sa belle famille, prouvant ainsi qu’elle était bien une citoyenne du monde. Prenant soudain conscience qu’elle n’était pas seule, elle se retourna vers son hôte. Elle ne put lui adresser qu’un immense merci pour avoir insisté afin qu’elle se joigne au voyage de son époux.

    – Je t’en prie, lui dit-il simplement. Ton bonheur est suffisant au mien et je suis heureux d’avoir participé à un moment magique. Mais cet instant est le tien et tu ne dois pas le partager, sinon avec l’élu de ton cœur.

    À ce moment précis du jour qui finissait d’installer son décor et ses surprises, elle n’était plus aux côtés de ceux qui les accueillaient. Elle venait de s’envoler par-delà les continents pour rejoindre son île natale qu’elle avait abandonnée sur un autre océan.

    – Mon cousin, tu me fais le plus magnifique de tous les cadeaux, dit-elle. Elle n’eut aucune honte à laisser rouler quelques larmes jusqu’au sol. Elle ajouta encore qu’elles étaient de bonheur et qu’il était indispensable que la terre de ce beau pays en connaisse le goût, afin qu’il n’oublie jamais l’émotion qui avait pris possession d’elle.

    Son cousin lui dit alors :

    – Si l’endroit où elles sont tombées était un sillon nouvellement ouvert, je devine qu’à cet endroit serait éclose la plus merveilleuse des fleurs en ce matin de décembre.

    À grandes enjambées, elle allait d’une extrémité de la galerie à l’autre. On pouvait être certain qu’elle embrassait le décor naturel avec la même passion qui anime ceux qui retrouvent des parents perdus de vue depuis longtemps.

    Prenant conscience qu’elle ne pouvait plus garder pour elle seule ce bonheur particulier, elle admit qu’elle se devait de le partager avec son époux qui sommeillait encore dans la chambre voisine. Se retournant en direction de la pièce, elle cria :

    – Grand dormeur de mari, réveille-toi !

    Viens vite, nous sommes à Brickaville !

    Alerté par tant d’exclamations, il fit ses premiers pas en direction du chahut. (À suivre)

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00061340-1

     

     


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :