• Un peu, beaucoup...pas du tout

    — Nous, les humains, nous avons une façon de vivre bien particulière. J’ai l’étrange sensation, que chaque instant de la journée, à travers le monde, cachés dans l’ombre, se tiennent des évènements, ressemblant aux marionnettes dont on tire les ficelles pour produire tel mouvement ou tel autre. Dans le cœur des hommes, sommeille-t-il donc que la graine de la malveillance attendant avec impatience l’instant où enfin elle va se libérer et germer dans une explosion de joie. Qu’ont pu faire certaines personnes pour détenir ces sentiments de destruction permanente, qu’elle soit des choses, des idées ou plus simplement des rêves ? Quand je regarde autour de moi la façon de vivre des éléments naturels, je ne constate pas cette haine dévastatrice.

    Je ne dis pas qu’il n’y a pas de guerres entre les animaux pour la conquête d’un nouveau territoire, mais le plus souvent, cela se règle rapidement, après quelques démonstrations de force du propriétaire en titre. Il y a bien quelques tentatives de subordination, voire de corruption et aussi de déstabilisation pour accéder à tout prix au rang de chef de groupe. Mais cela ne va jamais bien loin ; tout rentrant dans l’ordre à l’instant où l’envieux comprend qu’il est sage d’attendre son tour comme tout le monde.

    Chez les végétaux, il en va de même. Il est convenu depuis longtemps qu’un puissant n’a aucune raison de léguer une parcelle de sa force aux plus faibles et que l’on ne verra jamais un brin d’herbe regarder avec envie son voisin, le séquoia géant.

    L’actualité nous démontre que chez nous, nous sommes d’éternels insatisfaits. Elle est riche de références qui prouvent le profond malaise qui règne dans notre société. Il n’est pas un instant où sur notre planète qui méritait plus de considération, il n’y est pas un personnage désirant prendre ses rêves pour une réalité, quel qu’en soit le prix à débourser.

    On pourra me dire que l’exemple choisi n’est peut-être pas semblable aux propos évoqués. Que l’on veuille bien me pardonner. Je n’ai rien trouvé d’autre à opposer à la bêtise humaine que d’innocentes fleurs qui s’offrent tels des sourires éclatants. Pourquoi des marguerites, me demanderez-vous ?

    Elles resplendissent sous les rayons d’un soleil qui leur ressemble, nous tendent sur leurs hautes tiges leurs pétales immaculés protégeant un cœur aussi doré que l’or. Elles pourraient vivre heureuses, s’épanouissant sur une prairie qui leur prête son tapis d’herbe douce, d’une belle couleur verte comme l’espérance, les mettant en valeur.

    Au cours de la vie que le temps leur accorde, elles connaissent des heures de gloire, mais elles sont aussi assaillies par le doute et parfois sombrent dans les ténèbres après d’horribles souffrances. Elles redoutent ces moments qui voient défiler hommes et enfants, avec dans le regard un sentiment qu’elles devinent meurtrier. Pour l’avoir si souvent entendue par des rescapées qui durent leur salut à la nuit approchante, elles connaissent la triste histoire qui a fini par s’inscrire au plus profond de leur âme, jusque dans la moindre radicelle. Elles frémissent en voyant se tendre vers elles ces mains avides de conquêtes et de pouvoir. Elles comprennent soudain, que de leurs tiges fragiles, d’où partent les feuilles à la découpe parfaite, elles seront séparées violemment. Elles se retrouveront étranglées entre des doigts indélicats entamant un long calvaire. Sans aucune précaution, un à un, les pétales sont arrachés sauvagement à l’instant où l’auteur du délit commence une litanie parfaitement réglée. « Je t’aime, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout ! »

    Étrangement, tandis que la corolle a été disloquée et que le cœur part en lambeaux, le résultat ne satisfait jamais le cueilleur. Alors, le regard mauvais, la main empoigne une autre marguerite, et sur un ton d’où ne transparaît aucune douceur, ni émotion, l’effeuillage reprend, avec une excessive nervosité. On ne pense jamais à la grande douleur endurée par ces fleurs qui avaient été mises sur le passage des hommes pour embellir leurs songes.

    Mais voilà qu’il n’est toujours pas heureux du résultat obtenu.

    C’est la jeune fille qui se tient aux côtés du sadique qui en fait, est l’objet de l’acharnement. Pour elle, il est prêt à dévaster le champ entier de marguerites.  Dès le premier, je t’aime, prononcé par le bourreau, la pauvre fleur s’était imaginé qu’il s’agissait d’une histoire banale qui commençait ; mais rapidement, elle comprit que le sacrifice de quelques pétales n’y suffirait pas. Elle essaya de crier à ces sœurs de bien vite se refermer avant qu’il ne s’en prenne à elles ; mais le faucheur de vie et de couleurs avait commencé son œuvre, et il n’était pas décidé à s’arrêter tant qu’il n’aurait pas prononcé le mot fatidique qui évoque la passion.

    La prairie put enfin retrouver sa tranquillité avec la complicité du ciel, qui, soudain, se fit menaçant, éloignant pour un temps le bourreau des fleurs.

     

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00048010


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