• UNE ABSENCE INEXPLIQUÉE 1/2

    Toute ressemblance avec un personnage connu ou rencontré par hasard, serait le fruit d’une imagination trop fertile.

     

    UNE ABSENCE INEXPLIQUÉE 1/2 

    – Un ronflement permanent occupait l’espace, des alertes retentissaient à intervalles réguliers, il me semblait, à moins que ce fût la réalité, que quelqu’un respirait pour moi. Des pas feutrés faisaient le tour de mon lit, s’arrêtaient à droite, pour continuer à gauche. De temps en temps, entre deux battements de porte, une gorge se grattait, un mot échappait sans que j’en saisisse le sens. J’ignorais où je me trouvais ni depuis combien de temps j’étais là, à la merci du destin. Comme il en avait l’habitude, ce dernier venait de me faire un croc-en-jambe, mais celui-ci provoqua ma chute. De ma bouche occupée par des tubes ou je ne sais quoi d’autre m’empêchait de remuer les lèvres sur lesquelles persistait un goût amer. Une douleur généralisée envahissait mon être, sans que je puisse la définir, engourdissant mes membres, m’interdisant le moindre geste ou le mot qui pourrait indiquer que j’étais encore présent.

    Une sirène vrilla en mon cerveau. Une porte fut poussée sans ménagement. Une aiguille chercha un point précis dans mon bras gauche, tandis que le droit était déjà appareillé. Une chaleur vive pénétra en moi, investissant tous mes vaisseaux. Ils veulent me faire griller, me dis-je, sans affolement inutile ! C’est alors que je perçus une voix angoissée.

    – Docteur, pensez-vous le sortir de l’état où il se trouve ?

    Lui de répondre sans regarder celle ou celui qui l’apostrophait :

    – Il est trop tôt pour se prononcer. Cependant, le temps travaille pour nous et pour lui. C’est la seule chose que je suis en mesure de vous dire.

    Mais dans les conditions où j’étais, à la manière d’un élève en sciences naturelles dans son laboratoire en train de disséquer un insecte, je pouvais en déduire qu’il aurait pu dire : « il est perdu, je n’ai pas la puissance requise pour le ramener de là où il est.

    – Vous ne nous donnez pas beaucoup d’espoir, docteur !

    Le soignant ne répondit rien, mais je compris néanmoins qu’il retenait quelques mots qui voulaient dire que dans son service, ce mot y pénétrait sans y croire et souvent disparaissait sans même prendre le temps de se retourner.

    Puis il continua :

    – Êtes-vous sa seule famille ?

    – Non, bien sûr ; nous avons des enfants ainsi que les leurs ; pourquoi cette question ?

    – Demandez-leur de vous seconder, car je sais ce que sont ces jours pénibles, à attendre un signe qui se fait désirer. Toutefois, invitez les membres les mieux armés face aux difficultés, la vue d’un être cher pareillement appareillé met mal à l’aise les plus fragiles.

    – Plus que je les vis, j’ai senti leurs parfums qui m’éloignèrent un moment des pensées négatives, qui produisaient des efforts pour m’assaillirent. Mais j’entendis aussi renifler, ce qui voulait dire que l’on pleurait discrètement, les sanglots agitant le corps sans que l’on puisse retenir ses mouvements. Puis, quelques mots me parvinrent à travers un épais brouillard et l’essoufflement de la machine qui compensait ma respiration au repos.

    – Qu’est-ce que l’on t’a dit à son sujet ?

    – Rien ; enfin si peu, que je le considère comme tel.

    – Mais sait-on au moins ce qui a conduit à sa présence en ce lieu ?

    – Non ; toutefois, ils pensent que le cœur a tenté de jeter l’éponge.

    – Peut-être pas dans ce sens, mais c’est ainsi que je l’ai compris. Cependant, il est bien pris en charge. Sans doute n’est-ce pas lui qui frémit sous nos yeux de sa propre volonté, mais cette animation artificielle malgré tout me rassure, et me dit de continuer à croire. Ah ! Je voulais te dire ; quand tu repasseras par la maison, allume une bougie. Dans ma précipitation, je n’ai pas eu l’instinct de le faire.

    – Quand j’entendis que l’on parlait de moi en insistant sur le fait que je pouvais ne pas être la personne attendue à voir en ce lieu, une nouvelle alerte retendit dans l’espace et me vrilla dans les oreilles. Était-ce possible que je sois transformé à ce point, que les miens émettent des doutes me concernant ? C’est à cet instant qu’il me vint l’idée de faire comme parfois il se produit au cours de rêves agités. Après un effort considérable, je me libérais de l’emprise de ce corps qui me clouait littéralement au lit, et me mis à graviter. C’est alors que je les vis toutes menues et attristées autour de moi. Tandis qu’il me parut être devenu aussi léger que l’air, sur leurs épaules reposait un poids énorme qui faisait ployer leurs dos. Leurs traits étaient méconnaissables, les yeux rougis par les larmes et les nuits sans sommeil. Leurs corps étaient amaigris et leurs lèvres tremblantes semblaient prier, plus qu’elles échangeaient des propos desquels la cohérence n’avait plus lieu d’être. Soudain, mon regard fixa celui dont je pensais qu’il avait pris ma place. Je n’avais jamais passé beaucoup de temps devant un miroir, cependant, il n’y avait pas de doute. C’était bien moi qui reposais là, ancré comme un navire à son port, relié par de nombreux fils et tuyaux, qui animaient des écrans sur lesquels couraient des graphiques et des chiffres de couleurs différentes. J’eus la force de sourire à la vue de ce triste spectacle, car pour la première fois de ma vie, autour de moi les gens se précipitaient, se relayaient, échangeaient des avis sans pour autant être prolixes. Cette image m’attendrit et c’est précisément à l’évocation de l’existence que je décidais de reprendre ma place. (À suivre)

    Amazone. Solitude. Copyright 00061340-1

    Photo glanée sur le Web


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