• À LA POURSUITE DU JAGUAR 2/2

    – Eh bien ! Dis donc, il en fait du tapage ce concierge ! (Piauhau hurleur, oiseau de la forêt qui se tient dans les ramures et que l’on voit très peu. Par contre, ses trilles sont bruyants), remarqua Jo, comme si elle voulait lui répondre.

    – Maintenant, nous ne pouvons pas deviner qui, des hôtes de la sylve il prévient. Devons-nous comprendre qu’il met les animaux en garde contre notre venue, ou qu’il renseigne le jaguar qu’il y a des gens lancé à sa poursuite ?

    – Tu as raison, papa, nous ne le saurons jamais ! Mais pour vous dire la vérité, peu importe à qui il s’adresse ; moi, je l’aime bien !

    – Ce n’est pas le tout, dis-je. Reprenons notre route. Nous ne pouvons passer la journée ici. Si nous avons la chance de l’apercevoir, ce sera une belle chose, mais dans le cas contraire, il nous restera à espérer le surprendre une autre fois, car je suis persuadé qu’il se laissera tenter. C’est moins fatigant de voler les produits de la ferme que de courir après un animal de leurs cousins.

    – Dis-moi franchement, papa, si nous avons l’opportunité de le découvrir, tu tireras sur lui ?

    – Quelle idée ! Bien sûr que non ! Tu m’as déjà vu tuer un quelconque gibier ?

    – Il est vrai que je ne t’ai jamais surpris à le faire ; mais alors, pourquoi avoir pris ton fusil ?

    – Parce qu’avec ce type de client, on ne connaît pas toujours leurs réactions. Si c’est une mère, elle cherchera forcément à protéger ses petits si elle juge la situation dangereuse pour eux. Je dois avoir les mêmes réflexes qu’elle, à savoir, me montrer responsable de ceux qui m’accompagnent aujourd’hui.

    – Regardez, lance Jo ; les traces continuent sous la forêt à droite. Ce serait vraiment extraordinaire qu’il soit revenu près de chez nous en passant sous les bois !

    – Papa, quel est donc cet oiseau qui virevolte dans tous les sens ?

    – Comment, tu ne reconnais pas le trogon ? Lui aussi protège sa famille.

    – Quoi, en faisant toutes ces danses ?

    – Mais non, voyons. Arrêtons-nous un instant, puis observons les abords. Il doit se trouver non loin de nous un arbre comportant un creux. C’est dans celui-ci qu’il a fait son nid. À moins qu’il ait élu domicile dans une termitière.

    – Que dis-tu, papa ? Les bêtes vont dévorer les petits !

    – Pas du tout. Ce volatile-là est malin, tu sais. Chaque jour, il vient piquer dans le logement des insectes, y préparant un trou dans lequel il fera son appartement pour une couvée. La colonie s’empresse de réparer les dégâts ; aussitôt fait, le trogon revient à la charge, et ainsi durant quelques jours. De guerre lasse, les propriétaires finissent par tolérer l’intrus, mais ont soin de bien lisser la cloison qui les séparera. J’ai également vu la même chose dans une fourmilière qui était accrochée à la branche d’un jamblong dans l’allée des anciens.

    – En fait, les uns acceptent peut-être par crainte qu’il démonte toute la maison, dit Jo en riant.

    – Alors, on continue ou l’on attend que les petits prennent leur envol ?

    Ce matin-là, qui était un dimanche, ils eurent beaucoup de chance. À quelque distance, ce fut une biche qui détala, alors qu’ils ne l’avaient pas remarquée. Si elle n’avait pas bougé, sans doute seraient-ils passés sans la voir confondue avec la végétation basse. Soudain, ils pénétrèrent dans une zone où une forte odeur de charogne remplissait l’espace.

    – Tu crois que ce sont les reliefs du mouton, demanda Jo ?

    – Non, dis-je, c’est trop tôt. Avançons-nous, nous serons renseignés dans peu de temps.

    Ils ne tardèrent pas à découvrir le cadavre d’un daim de Virginie.

    – C’était sans doute le compagnon de la biche, ce qui expliquerait qu’elle ne s’est pas éloignée.

    – Ne restons pas là, dis-je, on ne sait pas quel genre de bestioles va s’inviter pour festoyer.

    Ils reprirent leurs recherches.

    – Regardez, il revient vers la rivière, annonça Jo, et ces traces semblent plus fraîches que les précédentes.

    – C’est surtout que le sol est plus mou, fis-je remarquer. Cependant, il doit être beau et lourd !

    – Bien sûr, papa, avec notre bélier dans la gueule, il pèse encore plus !

    – C’est vrai, d’autant que ce sont celles de devant qui s’enfoncent davantage. Donc, notre client n’est toujours pas rentré du marché.

    – À moins qu’il nous ait flairés et qu’il cherche à mettre de la distance entre nous, avança Jo.

    – Oh ! Une bête vient de s’enfuir, dit la jeune fille !

    – Je le vois, c’est un bel agouti. On peut dire qu’il détale aussi vite que son cousin le lièvre !

    – Nous ne sentons plus les restes du cadavre du daim, dit Jo. Le vent a tourné ; j’imagine qu’il nous est profitable ; je me trompe ?

    – Pas du tout, répondis-je. Le jaguar ne va plus prendre notre odeur, non plus. Hélas ! la forêt s’éclaircit et cela ne joue pas en notre faveur. Soyons sur nos gardes ! Alors que j’allais ordonner d’avancer le long de la rivière, soudain, je m’accroupis, priant mes compagnes d’en faire autant. Notre voleur était sur un chablis, à mi-hauteur du tronc. Il avait une patte sur sa proie, tandis qu’il arrachait des lambeaux de peau. Le seigneur de la forêt festoyait. Nous restâmes un long moment à le contempler. Il ne semblait pas faire attention à nous, à moins qu’il nous jugeât comme étant des êtres ne représentant pas de danger. Avec des gestes paisibles et bien ordonnés, il dépeçait notre pauvre bélier. Après un court instant d’hésitation, son repas entre les dents, il avança sur le fût, jusqu’à une fourche dont une branche s’élevait. Il s’installa plus haut, mais nous ne le voyions plus que de dos. Sans doute que monsieur n’aime pas être regardé quand il déjeune, dis-je ?

    – Nous restons encore, ou nous retournons à la maison, demanda JO ?

    – Tu as raison. Nous n’avons plus rien à faire ici. Cependant, je suis heureux que nous ayons pu le surprendre. Cette journée demeurera en nos mémoires comme étant celle du jaguar.

    Amazone. Solitude. Copyright 00061340-1

    Photo glanée sur Wikipédia.

     

     

     


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