• A la recherche du temps jadis

     

    A la recherche du temps jadis— Ne vous est-il jamais arrivé lors de longues promenades à travers les montagnes ou plus près de nous, dans la campagne de vous retrouver au détour d’un sentier sur des amas de pierres ? Que d’émotions nous oppressent alors à la vue de ce qui reste de ces villages abandonnés ! On ne peut s’empêcher de penser que jadis, ces lieux avaient connu la vie ; sans doute même l’essence de l’existence. Mieux, ces gens que d’aucuns pensaient alors qu’ils pouvaient être des gens simples, en fait, étaient ceux qui la représentaient dans toute sa grandeur.

    C’est alors que nous rapprochant, collant notre oreille sur les vieilles pierres, on pouvait imaginer entendre des voix basses et imaginer le quotidien de la famille ayant occupé les lieux. Certes, on ne peut s’empêcher de penser que dans chaque foyer, il y avait eu des larmes, des rires, mais aussi une grande part de bonheur. C’est que dans ces villages d’un autre temps, lorsque les habitants avaient pris le temps de vous sonder, de vous étudier et qu’à la fin ils vous avaient reconnu comme étant l’un des leurs, ils n’avaient qu’une façon de vous offrir ce qu’ils possédaient de meilleur en eux.

    Ils vous tendaient leurs mains et à votre grand étonnement, dans le creux de celles-ci, reposait leur cœur. Ceux que vous pensiez n’être que des rustres sous leurs airs bourrus, et leurs regards inquisiteurs, étaient à n’en pas douter les hommes les meilleurs que la terre n’ait jamais portés ! Avec un plaisir jamais dissimulé, ils vous invitaient à leur table, et entre le fromage et la poire, c’est leur histoire qu’ils vous offraient, sans oublier un point ni une virgule. Parfois, l’un ou l’autre des narrateurs laissait entendre un soupir entre deux phrases, tandis que la ligne suivante était ponctuée de sourires éclatants. On pouvait alors deviner que cette ligne représentait la saison qui avait rempli les granges d’herbes grasses et les greniers de grain plein et riche.

    Lorsque le dernier villageois s’en était allé, il avait seulement tiré la porte, sans la refermer, machinalement, comme s’il avait attendu quelqu’un ; sans doute, l’enfant parti trop tôt vers les villes dévoreuses d’hommes et déçu par elles et leurs promesses jamais tenues s’en retourne à la ferme.

    Continuant notre visite, nous nous retrouvons sur ce qui semblait être la place du  village. Parmi les herbes folles et des arbustes rabougris, autour de ce qui reste du four communal, on peut encore imaginer la discussion des femmes sur la qualité des farines et des promesses des blés à venir. C’est que chez les gens de la terre, il en allait ainsi, qu’elle profitait des sabots pour aller de la ferme aux champs et au soir, revenir par les mêmes chemins.

    Plus bas, prés du torrent qui ne chante plus pour personne, on devine l’emplacement qu’occupait le lavoir. Les vieilles pierres disjointes pourraient vous raconter l’histoire des genoux devenus douloureux à force de labeur et de prières. En ces lieux résonnent encore les coups de battoirs sur les coutils des pantalons inusables, ou sur les draps de lin si épais qu’il avait bercé les nuits durant des générations.

    En ces lieux bénis, tombés depuis dans la discrétion de l’histoire avant d’être oubliés puisque personne ne se souvient plus, l’homme n’avait pas imaginé l’école. Les aînés offraient le savoir et l’art des bonnes manières. En ces temps, on respectait la famille et l’on écoutait les anciens qui étaient les gardiens des règles ancestrales et nul n’aurait alors osé une contradiction.

    Tout ce qu’il fallait savoir de la vie elle, on le découvrait en ouvrant la porte, car elle n’était jamais loin. Comme elle savait qu’on parlait d’elle à l’intérieur de la maison, docilement, elle patientait sur le seuil.

    Ce que les aînés ne pouvaient expliquer, ils tendaient le bras en direction de la chose à connaître, et ils vous invitaient à regarder en silence la nature le faire.

    Il était émouvant de réaliser que ces gens simples possédaient ce que tant de monde recherche en vain. Ils avaient trouvé le bonheur, la joie et la fraternité. Ils se les transmettaient de famille en famille, de génération en génération dans la plus grande discrétion, presque en secret et souvent à voix basse afin de ne pas effrayer les sentiments.

    Tournant le dos au village, c’est à pas feutrés que l’on s’en éloigne non sans se retourner de temps à autre, sans dire un mot, pour ne pas troubler les esprits qui attendaient votre départ. En effet, ils ne manquent jamais de revenir récupérer un lambeau de bonheur qui serait resté suspendu à un clou rouillé, derrière la seule porte battant encore au vent ; à moins que ce ne soit des remerciements de leurs manières qu’ils vous adressent, vous faisant savoir qu’en tout lieu une vie qui a existé y demeure à jamais.

    Alors, allant du même pas, je me pose cette question ; comment avons-nous pu laisser ces temps de vie limpide s’enfuir si loin de nous ? 

     

    Amazone. Solitude


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