• A la source de la vie

     

    A la source de la vie

    — Quand on va par les chemins, il ne faut pas s’étonner si au bout de l’un d’eux, parfois, un sentiment de tristesse essaie de prendre le dessus sur les autres, plus discrets, confinés tout au fond du cœur.

    Notre comportement est quelquefois ambigu, alliant le bon et le moins bon, s’arrêtant devant la beauté alors qu’en d’autres occasions il l’ignore. Mais nul ne peut rester insensible à la chaleur humaine, celle qui fait se créer des amitiés qui jamais ne se défont, sauf lorsque la vie vint à manquer.

    Ainsi, le jeune homme avait-il le cœur serré lorsqu’il avoua à ses amis qu’il lui fallait partir vers d’autres horizons, où l’attendaient de nouvelles aventures.

    À cet instant, chacun savait pertinemment qu’une expérience n’a de sens que si elle est reliée par des fils qui prendront un malin plaisir à tourmenter les esprits des uns et des autres au moment où de nouvelles décisions se feront jour.

    Toutefois, le jeune homme ne fut pas surpris de n’entendre aucune réflexion lorsqu’il annonça sa décision. Il eut même l’impression qu’il était le seul à en être bouleversé.

    Réunis sous l’arbre à palabres, c’est à peine s’ils avaient hoché la tête.

    Après un moment passé à s’observer, comme si les uns et les autres attendaient d’autres paroles, les sages dirent d’une voix calme comme l’eau claire qui traverse la plaine :

    — Il est écrit quelque part que ton chemin est long et que tu dois le suivre jusqu’à son terme. Nul n’échappe à sa destinée. Elle est notre meilleure compagne, même si parfois elle nous parait bien ingrate.

    Les chemins de la vie ne sont pas égaux, jeune ami. Certains sont doux à notre pas, d’autres sont parsemés d’embûches, alors que d’autres encore sont glissants et incertains.

    En fait, nous, humbles gens de la brousse qui sont parfois oubliés par nos propres frères, nous nous demandons toujours pourquoi les blancs, tes frères, se tourmentent autant pour courir derrière quelque chose qu’ils ne parviennent jamais à rattraper.

    Chez nous, avait souvent confié Touré à son ami étranger, l’existence est beaucoup plus simple quand elle n’est pas carrément sereine. Le Très-Haut ne nous demande pas de nous surpasser pour le servir. Il n’est pas égoïste à ce point pour ignorer que nous avons besoin d’aise pour évoluer. C’est pourquoi il mit à notre disposition des rivières plus à même de nous accueillir pour le bain que nos marmites et nos bassines.

    Nous avons l’habitude de faire confiance au temps qui règle les existences de chacun. Pour le reste, le ciel nous fait don du jour pour accorder nos sourires et de la nuit pour laisser vagabonder nos pensées.

    Vois-tu, l’ami, continuèrent les anciens, aucun évènement n’empêche les saisons de se succéder. Nous labourerons, ensemencerons, récolterons si le ciel en a décidé ; la chasse et la pêche pourvoiront à compléter notre maigre subsistance.

    Chez nous, il est écrit que lorsque le temps est venu pour que nous devenions des hommes, une femme il nous faudra prendre.

    Si nos bras sont assez forts pour nourrir enfants et famille, si le troupeau est en nombre suffisant, alors nous pourrons prendre une seconde épouse. Les enfants seront élevés dans le respect des traditions, afin que la mémoire des nôtres survive aux différentes épreuves qui se présenteront.

    L’instant le plus beau de la journée se passe à l’heure où la lune illumine le ciel. Autour du feu, la nuit devient magique quand les femmes entament les danses au rythme des tambours. Sous les étoiles attentives, nous écoutons les griots qui chantent autant pour l’âme de notre pays que pour celles de nos ancêtres.

    Les conteurs se joignent aux musiciens pour ajouter quelques lignes à nos contes et légendes. Ils savent imiter le mauvais esprit afin de l’attirer et de le faire prisonnier. Leur pouvoir est si grand, qu’ils parviennent même à faire éclore des fleurs dans les flammes pour les offrir aux déesses disparues.

    Les sages, imaginait le futur voyageur, disent-ils sans doute ces choses, non pour rendre mélancoliques les jours que je m’apprête à vivre, mais pour éclairer le chemin que je fixais déjà comme si j’étais dans le lendemain. Ils étaient plutôt comme une offrande en signe d’une amitié que l’on ne prenait pas la peine de dire qu’elle était sincère. Elle l’était par définition.

     

    Le jeune savait d’ores et déjà que des lambeaux de cette vie si naturelle resteraient accrochés à lui comme des oripeaux ne pouvant plus se séparer de la peau du voyageur, ne tourmentant jamais son corps ni son esprit. Il savait aussi qu’une part importante de son être allait rester gambader dans ces savanes, non loin de la source de la vie exquise qu’il avait tardé à découvrir et au-dessus de laquelle il s’était penché pour étancher sa soif. 

    Amazone Solitude


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