• Amères pensées

    — En ce jour où le ciel semble si près de nous, qu’il nous suffirait de tendre le bras pour, de la main en déchirer les nuages qui marchent sur la canopée, je ne puis retenir un sentiment de tristesse qui m’envahit et taraude mon esprit. À l’instant, j’aimerais pouvoir crier mon désarroi et ma peine. Que sommes-nous devenus pour n’avoir pas su empêcher le malheur et la honte de pénétrer nos cités ? Quel est donc ce mal qui s’est installé en nous en imposant sa puissance ? Sous un couvert bon enfant, nous allons dans la vie, cachant même à nos propres amis notre questionnement quotidien, feignant de sourire et d’être à l’écoute de chacun, alors que nous n’avons qu’une envie ; fuir ce monde en qui nous avions mis notre confiance et qui depuis toujours nous trompe chaque jour que le temps invente.

    Je me croyais à l’abri de l’épidémie, à l’opposé de la rumeur, loin des combats des chefs comme dans les plus mauvais romans. C’était sans compter avec ce siècle qui semble être le parent de la malfaisance tant il nous inonde de la folie des hommes. Jusqu’à ce jour, j’étais heureux, j’essayais de convaincre mes semblables que le bonheur était en nous et qu’il nous suffisait de produire l’effort nécessaire pour le faire naître et briller comme le font les rayons de soleil.

    Hélas ! Voilà qu’une aigreur empoisonne ma vie en même temps que le désir de baisser les bras tant le combat que nous devons mener me paraît inégal. Moi qui n’avais jamais fui devant un quelconque danger, maintenant, j’ai envie de me réfugier dans la pénombre de la forêt qui jouxte la ferme.

    Je n’ai qu’un souhait : ne plus rien voir, plus rien entendre ce qui se passe autour de moi. J’en viens presque à bénir cette pluie tropicale qui semble faire comme le rideau sur la scène du théâtre, à l’instant où il annonce la fin du spectacle et je demanderais presque au ciel de ne plus l’interrompre, même si mes arbres sont dissimulés derrière le brouillard et que les hallebardes sur le toit et la forêt me privent du chant des oiseaux. Alors du fond de ma détresse, j’ai envie de crier ; de réclamer où sont passés ces hommes que j’ai connus et qui m’avaient laissé croire que j’avais raison d’espérer en l’existence de ceux de notre espèce. Pourquoi et comment en sommes-nous arrivés à ce point que nous avons de la difficulté à nous estimer nous-mêmes ? Bien sûr que nous avons fait des erreurs ; mais ne devaient-elles pas nous servir d’exemples plutôt que de nous y complaire et de les renouveler sans jamais nous fatiguer ? Les fautes commises, pourquoi nous est-il si pénible de les reconnaître et de les réparer ? Comment pouvons-nous accepter l’idée de haïr aujourd’hui ce que nous avons aimé hier ?

    J’ai l’affreux sentiment d’ouvrir un mauvais ouvrage dont le premier mot sur la première ligne de la première page serait une question et qu’elle se répéterait de chapitre en chapitre, jusqu’à la fin de l’œuvre :

    Pourquoi ?

    Quelle est donc cette force qui fait que nous ne savons plus emprisonner nos pensées ? Pourquoi nous laissons-nous voler nos plus belles images et nos icônes ? Je vois bien, en regardant mes semblables errer dans l’existence, que le bonheur qu’ils appelaient de leurs vœux est las lui aussi et qu’il a choisi de se détourner de leurs chemins. Il marche à l’aveuglette dans la monotonie des villes et se heurte sans cesse aux gens qui ne lui font plus confiance. Pourtant, il tente encore de s’accrocher désespérément à certains qui sembleraient aptes à le recueillir, alors que ceux-ci s’empressent, d’un revers de la main, de s’en débarrasser.

    Reprenant mes esprits, je me demande toujours quels sont ces gourous des temps modernes qui nous ont endormis. Sont-ce eux qui sont puissants ou nous qui sommes devenus trop faibles ? Ne serions-nous plus que des égoïstes ? Des indifférents qui se contentent des malheurs des uns et des autres ? Cependant, nous sommes bien des hommes !

    Certes, petits et fragiles, mais avec suffisamment de hargne au ventre pour nous libérer des parasites qui voulaient investir notre pelisse !

    Sans doute sommes-nous délicats, parfois versatiles ; mais en nous, il y a un cœur qui ne demande qu’à aimer ! Un cœur si gros qu’il est prêt à bondir hors de sa cage quand il entend auprès de lui un autre pareil à lui, battre la chamade !

    Vers la forêt sur laquelle mon regard s’attarde, je sais que sous son couvert le mensonge n’y a pas cours. La vie y est sans doute difficile, mais sans mépris envers les uns ou les autres composants.

    Je ne puis m’empêcher de penser que nous pourrions l’imiter et que le seul combat qui serait digne que nous livrions ne serait que contre nous-mêmes. Ce faisant, nous pourrions chasser au plus loin les démons qui voulaient investir nos corps et dévorer notre âme ; et que par le monde, des gens devenus responsables cessent de mener des guerres aveugles contre leurs frères. Un rêve, pensez-vous ?

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00061340-1

     

     


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