• Au coeur du déluge

    – Le jour n’était pas encore installé lorsque le malaise se fit ressentir. Dans les étables, les meuglements n’étaient pas ceux qui d’ordinaire réclament la direction des lieux de pâtures. Dans les écuries, les chevaux et les ânes tiraient sur les longes pour de leurs ruades, frapper violemment les portes de leur boxe.

    Au poulailler, au contraire c’était le calme. Tout juste entendait-on quelques gloussements ; mais ils n’appartenaient qu’à de vieilles locataires qui rêvaient probablement de couvées anciennes. Les coqs, surpris par la nuit qui tardait à se retirer, avaient oublié de lancer leurs cocoricos indiquant qu’il était temps de laisser les songes sur les perchoirs jusqu’au prochain soir.

    À contrecœur, l’aurore se décida à dessiner quelques couleurs, mais l’ambiance n’y était pas. On pensa que ce jour-là, il n’y avait pas un, mais plusieurs soleils dissimulés en quelques endroits du firmament, tant l’air était lourd et étouffant faisait suffoquer bêtes et gens sous une brume qui restait collée à la terre. En ce début de matinée, le ciel formait une armée de nuages prêts à exploser à la moindre étincelle. Ils n’attendaient qu’un commandement pour se mettre en ordre de marche.

    Cette ordonnance ne tarda pas à être donnée. D’ordinaire lent à se réveiller, l’alizé avait cédé sa place à des vents du Nord et de l’Est et il nous sembla qu’ils avaient probablement rompu leur corde, car ils ne savaient plus de quel côté souffler. Ils tournoyaient au-dessus de la forêt, obligeant les géants à courber leur tête s’ils ne voulaient pas être menacés de la perdre. Les palmiers n’étaient pas loin d’attraper le torticolis, les feuilles étant malmenées à ce point, que certaines préfèrent abandonner quelques une de leurs longues branches afin de montrer leurs soumissions aux éléments déchaînés.

    Soudain, les rafales d’une pluie violente résonnèrent sur le toit de la forêt. Quand on est à l’écoute de la nature, rien ne peut nous échapper en ce qui concerne le moindre changement. Toutes les informations circulent accrochées aux plus petits fragments arrachés, évoluant dans les airs et venant se poser sur les gens qui ont l’audace de rester sous les ciels menaçants. L’armée de nuages remarqués auparavant s’était bien mise en marche. Elle avançait en rangs serrés, pareille à des conquérants, assurés de l’impunité et de l’absence d’une quelconque résistance. Sans état d’âme, elle hachait les feuilles de la canopée que les vents se chargeaient de disséminer à travers le monde, comme s’ils voulaient séparer les membres d’une même famille en s’acharnant sur elle, dans le plus grand plaisir.

    Il ne fallut qu’un instant pour nous laisser croire que le ciel avait disparu. Les nuages roulaient en tous sens, ressemblant à un troupeau de moutons encerclés par les loups. Pourfendant les masses noires, des dizaines d’éclairs faisaient la liaison avec le sol qui semblait exploser sous les impacts de la foudre.   À cet instant, plus rien n’existait. Il n’y avait plus de Terre, plus de firmament, aucun être vivant. La nature tout entière était prise dans la tourmente, et, pensait-on, se réfugiait sous la forêt pour échapper au déluge qui s’abattait sur elle. Nous n’étions pas encore à la mi-journée, mais déjà, le matin ayant perdu la notion de l’heure installait sans plus tarder le crépuscule. Des arbres s’effondraient, en ajoutant aux bruits des gémissements de fin du monde qui remplissaient l’atmosphère.

    La pluie redoublait de violence et les feuilles avaient depuis un bon moment cessé de faire le moindre effort pour absorber ce surplus qui ne ravissait que les cours d’eau. Ils étaient même sortis de leurs lits, investissaient les berges avant d’envahir les savanes et les sous-bois, à la recherche de nouveaux endroits où cacher leurs souvenirs. C’était l’heure de la vengeance du liquide sur le solide.

    Pendant ce temps, la voûte céleste n’en finissait pas de prendre des photos de sa dernière œuvre. Les flashes du ciel n’avaient pas terminé de crépiter, que déjà, le tonnerre roulait et se heurtait à une précédente décharge d’énergie qui donnait l’impression de vouloir enflammer la planète qui n’offrait plus de résistance.

    Peu habituées à un tel traitement, les cases tremblaient et gémissaient sur leurs pilotis. Quelques heures plus tard, les éléments s’essoufflèrent et l’alizé retrouva suffisamment de force pour pousser ce qui restait des nuages gris. Le déluge disparut comme il était venu et la nature fit comme si rien ne s’était passé, sauf que les oiseaux avaient redécouvert leurs chants dans un air redevenu respirable et qu’ils avaient à leur disposition d’innombrables nouvelles flaques pour se baigner et remettre de l’ordre dans les plumages quelque peu ébouriffés.

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00061340-1

     

     


  • Commentaires

    1
    Dimanche 4 Juin 2017 à 08:17

    J'aime quand la nature se met en colère,en zigzags électriques ,en souffle de rage et en pleurs

    diluviens,vous la décrivez si bien,ce doit être beau dans votre forêt lointaine

    Belle journée

    Patricia

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