• Ballons d'oxygène

    — Depuis plusieurs jours, je sentais bien que des choses peu ordinaires se préparaient. Le monde ne semblait pas tourner comme à son habitude. Les jours avaient de la peine à ouvrir le ciel sombre et la nature n’était nullement pressée de déployer de nouvelles feuilles, de même que les fleurs semblaient conserver leur parfum pour l’éventualité de jours meilleurs. Tout cela ne me disait rien de bon. Prudent, comme d’habitude, je risquais un œil dehors. La surprise fut totale à l’instant où je vis se bousculer dans les airs des dizaines et sans doute des centaines d’aéronefs. Les uns montaient, les autres descendaient, hésitant pour certains alors que d’autres encore essayaient de relever l’ancre qui ne voulait pas quitter les lignes, sur lesquelles elle reposait.

    Les hommes seraient-ils en train de fuir la planète, pensais-je ? Mais seigneur, pour aller où ? Quand ils auront fait deux ou trois fois le tour de la terre, me dis-je, ils ne seront pas plus avancés, car je crois me souvenir qu’à la communale, on nous affirmait qu’elle était bien ronde !

    Il est vrai que je vis reculé dans la campagne, mais si quelque chose de grave s’était passé ou était en préparation, quelqu’un nous aurait bien prévenus, je pense. De toute façon, autour de nous, les animaux n’avaient rien perdu de leur calme légendaire et même les vaches ruminaient dans la parfaite indifférence des éléments naturels, à l’ombre sous les bosquets.

    Toujours est-il que là-haut, c’était déjà une belle pagaille. Toutefois, on pouvait dire d’elle qu’elle était magnifique oui, car les couleurs faisaient comme des fleurs dans un ciel habitué aux étoiles, mais intouchable, parce qu’elles demeurent sans cesse du mauvais côté. Quand même, me surpris-je à murmurer, on croirait presque un départ massif vers les vacances. S’ils ne sont pas prudents, il va y avoir des dégâts, surtout si un vent de panique se met à souffler ! Pressé comme ils semblent l’être, je suis certain qu’ils n’ont pas pris la peine de s’informer auprès de « ballon rusé ».

    Les novices sont vite repérés. Ils naviguent comme ils peuvent, quand ils ne volent pas ce qu’ils veulent. En tendant l’oreille, on en entend même s’invectiver et se traiter de noms d’oiseaux. Mais pour leur ressembler, ils ont de nombreuses heures d’entraînement à effectuer !

    — Eh ! Toi, tu vas me pomper l’air encore longtemps ?

    Et d’autres de répondre :

    — Cela ne te dérange pas de rester dans mon soleil ? Ôte-toi de mon horizon !

    Il y a les éternels râleurs. Toujours les mêmes. Ils continuent de se plaindre aussi fort dans l’espace qu’ils le font sur terre :

    — Regardez-moi ce gros ventru là-bas, il pense nous en mettre encore longtemps dans la vue, avec son sable qui fuit ? Il n’y a pas de verglas pourtant ! À moins que ce soit quelqu’un qui emporte avec lui un peu de nostalgie des ponts et chaussées ? Et celui-ci, avec son moteur mal réglé, voilà qu’il crache des flammes ! Sûr que c’est un gars pressé, il veut brûler les étapes. Mais que font donc les pompiers ?

    Tiens, les gendarmes sont du voyage. Pour une fois, on peut dire que c’est original, ce sont eux qui soufflent dans le ballon ! Et à ce que je vois, ils y prennent plaisir. Il y en a même un qui crie à l’autre.

    — qu’importe l’ivresse — pourvu qu’on ait le flacon !

    — Alors cela met tout le monde de bonne humeur et j’ai l’impression que les petits malins en profitent pour ajouter de la panique au désordre. Des gens ont le mal de l’air. Ils ont des hauts et des bas et craignent de se dégonfler au dernier moment. Comme toujours, les grosses cylindrées occupent la voie la plus rapide, celle des cieux, et je vous assure qu’ils n’en manquent pas ! Les plus lestes se faufilent, au risque de toucher la voilure des autres, ajoutant une rayure à celles créées par d’autres imprudents. Sur la bande d’urgence, on trouve les malchanceux. Honteux, ils confient à leurs voisins qu’ils ont perdu le nord.

    Je vois quelques rêveurs, ils en profitent pour vérifier si leur tête est toujours dans les nuages, tandis que les écervelés ne sont plus loin de la lune. Conscient d’avoir l’esprit ailleurs, je rentre écouter les informations.

    Je comprends alors que je m’étais inquiété pour rien. Ce n’est qu’une mission humanitaire de gens sensibles et dévoués (toujours les mêmes) qui viennent de prendre leur envol pour livrer de l’oxygène à notre bon vieux dôme. Aux dernières nouvelles, la pression diminuait en raison d’une rupture de la couche d’ozone. Ouf, on peut dire que l’on revient de loin et s’estimer heureux de pouvoir rester encore longtemps sur notre bonne vieille terre.

    Du coup, pour fêter cela, je prendrais bien un petit ballon de rouge. Pas vous ?

     Amazone. Solitude. Copyright N° 00061340-1

     

     


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