• CE QUI NOUS SÉPARAIT NOUS A RÉUNIS

    CE QUI NOUS SÉPARAIT NOUS A RÉUNIS– Il y a des histoires qui cherchent des années leurs mots avant de les aligner sagement sur une feuille, surprise que soudain, on s’intéresse à elle. Et pourtant, elle ne refusa pas le contact de la plume qui lui murmura plus qu’elle n’écrivit que des êtres qui ignoraient totalement qu’ils puissent exister allaient bientôt se rencontrer, chacun cheminant sur un sentier dont personne n’aurait imaginé qu’un jour ils se croiseraient.

    Tout commença il y a longtemps. L’un parcourait les pistes africaines, sans pour autant être un aventurier, tandis que l’autre attendait sagement, les yeux tournés vers l’horizon, que le ciel se dégage afin que son regard se découvre pour y lire les messages rédigés à la hâte, chevauchant des nuages aux allures étranges. Entre eux, il y eut d’abord un continent, puis une mer qui s’efforçaient de repousser les Terres dans l’intention d’éloigner les prétentions qui semblaient se dessiner sur son onde, voyageant sur le dos des vagues. Puis la poussière des chemins assoiffés se leva, comme pour brouiller les paroles et les songes qu’elles suscitaient, alors que le vent éprouvait la plus grande difficulté à remettre dans l’ordre dans ce qui ressemblait à une réalisation fragile.

    Bien que certains avions fassent des déchirures dans le ciel, le transport se pratiquait surtout par navires. S’il arrivait qu’un conflit éclatât du côté du canal de Suez, le voyage durait trois mois, quand tout allait bien et que les escales africaines ne réservent pas de surprise. Le courrier prenait donc tout son temps pour arriver à son destinataire, et à n’en pas douter, certains mots ayant eu le mal de mer avaient sûrement sauté quelques lignes. Pour imager mes propos, je vous révèle qu’une missive écrite depuis la Mauritanie est d’abord dirigée vers Dakar au Sénégal. Après un tri qui ne se presse pas, voilà notre lettre qui s’embarque pour Bordeaux ou Marseille. Avec un grand soulagement, les pensées ont retrouvé la Terre ferme, puis le train les mène à Paris et enfin, un avion qui veut bien la transporter jusque dans l’océan Indien ! Mais quand nous appartenons à une catégorie de gens compliqués, rien ne se fait normalement. Entre les mains de la destinatrice, il s’avère qu’elles ne sont pas les bonnes. Après moult migraines et autant d’hésitations, la lettre reprend les airs. Elle redécouvre Paris, avant d’être acheminée dans la ville du sud, où, entre le moment où elle fut rédigée et embarquée, l’amie s’était envolée. En deux mots, vous comprenez que lorsque la toile qui relie l’humanité nous a rejoints, nous l’avons fêtée comme il se doit.

    Cependant, à notre façon, nous avions créé notre propre réseau. Lorsque la lettre dont il est fait référence m’arriva, elle me trouva dans un autre pays. Au Gabon, et six mois plus tard ! Il est vrai que les questions ne réclamaient pas de réponses immédiates, mais enfin, imaginez l’état d’esprit de celle ou celui qui lit, non pas un simple texto, mais presque un roman. Et cela s’échelonna sur plus de deux années. Les échanges se faisaient en tout bien tout honneur, chacun ignorant les traits de la personne avec laquelle il correspondait. Puis, ce fut l’heure d’un dernier embarquement dans un port du sud, pour, trois semaines plus tard et des escales ressemblant à des sauts de puces, retrouver la France oubliée durant quelques années se profila à l’horizon. Autant je l’avais vue une première fois s’enfoncer dans l’océan, avec une certaine indifférence, que je fus presque impatient d’en fouler le sol en ce début d’automne. Mais un mois nous séparait encore. Ce fut sans doute l’étape la plus longue. Si j’avais eu l’instinct de faire la route à pied, il ne fait aucun doute que le trajet de Bordeaux à Marseille eut été plus rapide. Mais, comme l’a écrit le poète, « tout vient à point pour qui sait attendre ».

    Le jour se levait sur le vieux port, quand dans un établissement au cœur de la cité phocéenne, le téléphone sonna de manière impérative. C’est Robert, Josiane, je suis désolé de vous réveiller aussi brusquement. Un silence qui me parut une éternité s’installa sur la ligne. Vous êtes toujours là, Josiane ?

    – Vous avez bien dit Robert, l’Africain ?

    – Lui-même, Josiane, sans les animaux ni les baobabs, mais avec le consentement de mes frères les griots. À l’heure présente, ils doivent continuer d’adresser des chansons et des prières aux anciens qui ont tissé cette longue et belle route qui nous permet finalement de nous rencontrer. Tant d’éléments furent contre nous, mon amie. La mer, le continent, l’océan. D’un pays à l’autre, je l’avoue, j’avais peur que vous finissiez par perdre ma trace. Mais, quelque part, un ou plusieurs inconnus ont pris soin de faire en sorte que nos chemins se croisent enfin. Les hommes ne sont pas faits pour vivre en dehors d’une communauté, et par chance, cette dernière commence avec deux individus. Si Dieu le veut, nous pourrions être celle à laquelle nous aspirons. À quelle heure pourrons-nous nous rencontrer ?

    – À midi, Robert, si vous le désirez. Voici l’adresse et la tenue dans laquelle vous me découvrirez. Dois-je vous dire que la matinée parut une autre éternité ? Mais ce n’étaient plus que des heures qui nous séparaient, et par bonheur, sur tous les cadrans, elles ne sont jamais fixes. Soudain, elle fut devant moi. Je me levais pour la saluer, et un nouveau silence retentit jusque dans les environs de mon cœur. Je compris pourquoi il était si bruyant, car il confectionnait le lien qui, depuis ce premier instant, ne s’est jamais rompu.

    Amazone. Solitude. Copyright 00061340-1

     


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