• Ces femmes qui font chanter la vie

    — Il n’est pas que de nos jours que le changement a gagné les villages oubliés de la brousse. Un beau matin, il s’est invité sans que personne ne l’ait prié de rejoindre la table. Il s’est même confortablement installé, modifiant en profondeur jusqu’au plus lointain souvenir. S’il a fait sourire les enfants, les plus anciens y ont vu un coup d’arrêt à une existence paisible. Petit à petit, la jeunesse ne prit pas seulement la pirogue pour aller à la pêche ou partir à la découverte de nouveaux sites d’abattis. Ils s’enfuirent à la manière que le fait le gibier devant le danger.

    C’est alors que les femmes ont relevé le défi que leur lançait la modernité. Elles n’attendirent pas que leurs pères soient devenus trop vieux pour les remplacer dans toutes les tâches, des plus faciles à celles réputées n’être réservées qu’aux hommes les plus vaillants.

    Les jeunes peuvent bien courir derrière leurs aventures aperçues seulement en rêves, dirent-elles en chœur. Ils ont encore besoin de nombreuses années pour grandir et réunir dans leurs maigres bagages suffisamment d’expérience, pour pouvoir un jour prétendre ressembler à de vrais hommes. Mais en attendant ce jour, la vie, elle, file sur son chemin. Elle est installée depuis la nuit des temps et rôde autour des villages, y compris ceux dont on dit qu’ils sont d’une autre planète. Afin de continuer les œuvres entreprises, elle a besoin de toujours autant de bras pour leurs réalisations.

    Pendant ce temps, les nouveaux citadins entament leur longue et difficile marche à travers un monde qui, même s’il leur semble être pareil à une planète distribuant de multiples offrandes, n’en est pas moins que la source de nombreuses désillusions. Alors qu’ils croisent en se heurtant à des gens comme eux, déambulant du matin au soir sur des trottoirs encombrés, il leur semble qu’ils s’égarent dans un désert, où, escaladant les dunes les unes après les autres, ils courent derrière les chimères sans jamais pouvoir les rattraper. Comme tous les citadins, ils sont perdus dans le vacarme des moteurs de toutes sortes, pétaradant fort pour avoir la sensation de traverser le temps à vive allure, alors que comme tout le monde, ils marcheront derrière lui sans espoir de ne jamais lui appartenir, ni le dépasser. Ils sont pris dans cet engrenage que l’on appelle la société et bientôt, emportés par cette spirale dévoreuse de gens faibles, ils ne reconnaîtront plus aucun bruit qui leur fit cependant vibrer l’oreille alors qu’ils n’étaient que des enfants de la brousse.

    L’homme est ainsi fait qu’il ressemble à une lame fine particulièrement avantageuse en de nombreuses circonstances. Que l’on vienne à négliger son fil, elle devient inutile jusqu’au jour où, fatigué de frapper pour trancher, son propriétaire se décide enfin à l’affûter à nouveau. Les plus vieux le disent et le répètent : quand ils seront épuisés d’errer chez les autres, ils finiront par revenir parmi les leurs.

    En attendant les hypothétiques retours, les bruits du jour traduisant l’existence des villages se perdent à travers les savanes.

    Pourtant, après le renoncement du dernier forgeron, il fallut bien continuer sa tâche et inventer sans cesse de nouveaux outils pour se mesurer à la nature.

    À l’évocation de la forge, on imagine toujours un homme aux muscles puissants, cherchant la bonne cadence sur l’enclume, avant que le lourd marteau aille à la rencontre du fer rougi à blanc. On prétend leurs mains si grandes, que le monde pourrait tenir en leurs creux.

    Mais en quoi cette force serait-elle l’exclusivité des hommes ?

    N’avez-vous jamais croisé dans votre entourage une femme qui aurait les mains aussi dures que le bois serpent ?

    Combien sont-ils, ceux qui refusent de croire en la puissance légendaire des femmes, dites chez nous, qu’elles sont le « poto-mitan » qu’aucune tâche ne rebute ?

    Connaissez-vous, de ces Dames qui se seraient laissées envahir par le chagrin parce que les jeunes ont osé les défier en prétendant faire mieux au sein des grandes villes ? Avez-vous déjà entendu une femme geindre que la besogne soit trop pénible pour elle ou même irréalisable ?

    Et de ces femmes qui sont également des mères, avez-vous rencontré l’un de leurs enfants qui se seraient plaints une seule fois que ses mains calleuses furent désagréables et incapables de prodiguer la moindre caresse ?

    À chaque instant de la vie, ces mains tenant aussi fermement les mancherons d’une charrue, des manches de houes ou de lourds marteaux, celles qui conduisent le bétail aux pâtures ou récoltent le bois mort, ne connaissent jamais le tremblement qui signifierait qu’elles sont habitées par le doute.

    La paume est dure, mais précise. Elle frappe le fer avec violence, mais se fait douce pour bercer l’enfant. Elles deviennent celles de fées lorsqu’elles tranquillisent le bébé anxieux ou le mari hésitant, ayant perdu la foi en lui-même.

    Ô femmes ! Vous qui savez si bien faire chanter la vie à tous les instants de la vôtre, si vous n’existiez pas nul ne pourrait vous inventer, car nul ne peut mieux que vous forcer les jours à sourire en nous donnant chaque matin votre amour et votre joie de vivre.

    Mais si vous savez si bien être l’un et l’autre des personnages, celui du jour et celui de la nuit, c’est parce que vous êtes les seules à permettre à l’enfant de venir agrandir la famille ; même si parfois celle-ci un jour ose vous tourner le dos.

    Mieux que quiconque, vous savez que la vie sous toutes ses formes n’apporte pas que des souffrances et pour nous en persuader, nous n’avons qu’à regarder au fond de vos yeux pour comprendre qu’ils sont le refuge du bonheur.

     

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