• Coco-Kiri

    — Pardon d’interrompre votre réflexion, mes amis. J’aimerais que vous me regardiez avec une plus grande attention. Trouvez-vous en moi quelque chose d’étrange qui me ferait ressembler à un autre animal que ceux de ma famille, une couleur particulière ou un défaut qui m’aurait échappé ? C’est qu’ici, je n’ai à ma disposition aucun miroir dans lequel je pourrai vérifier ma tenue. Ce n’est pas comme dans la nature où les mares, les criques, les marais ou les fleuves sont à chaque détour des sentiers. Pourquoi aurais-je un doute, me demanderez-vous ?

    C’est bien simple à comprendre. Imaginez un instant tout ce que j’entends à longueur de temps sur mon compte. Ils n’en finissent jamais de leurs questions qui ne varient jamais d’une phrase à une autre, d’un mot au suivant et surtout des réflexions innocentes. Connaissez-vous quelqu’un qui supporterait qu’à tout bout de champ on lui pose sans cesse les mêmes questions sur son identité, ses origines, sa tenue vestimentaire et bien d’autres informations particulières qui ne finiraient pas par se rebeller ? Je reconnais que parfois, il m’arrive de ne pas être très coopératif. Souvent, les touristes sont mécontents parce que je reste des heures sans prononcer le moindre mot. Pire, je fais celui qui ne les voit pas, auscultant les ongles de mes pattes.

    Soyons clairs : d’abord, comprenez que je ne suis pas payé pour faire la conversation. Ensuite, si je disais vraiment dire ce que je pense d’eux, je sais parfaitement qu’il y aurait quantité de gens déçus et sans doute qui seraient très contrariés. C’est que trop souvent ils m’énervent avec leurs réflexions qui tournent à la rengaine. Cela commence toujours par l’éternel : bonjour coco ! Puis, invariablement, ils continuent en élèves attentifs qu’ils sont, ayant retenu les mots de ce bon monsieur de La Fontaine : ah ! Qu’il est beau, qu’il est joli, que ces plumes magnifiques lui font un somptueux costume !

    Insolemment, il m’arrive d’avoir envie de leur répondre : et mon croupion, jamais vous n’en parlez ? Dans toute l’artillerie des phrases qu’ils enchaînent, je n’entends jamais celles qui me feraient plaisir et qui m’aideraient à supporter ma condition. Pourtant, enfermé dans cette cage ridicule alors qu’autour de moi vit une forêt qu’ils appellent le poumon de la planète, il y aurait de quoi dire et même pleurer. S’en trouvent-ils qui se demandent si un ara peut avoir des états d’âme et se laisser aller au chagrin ? Vous êtes comme moi n’est-ce pas, vous l’ignorez totalement. Alors vous voyez bien qu’ils ne s’en soucient guère !

    Question alimentation, j’aurai tort de me plaindre. Je ne manque de rien ; je reconnais même que j’en ai trop. Et savez-vous, je mange surtout de la cuisine exotique. Il est vrai qu’en ma qualité d’hôte d’un restaurant, je dirai que mon alimentation est plutôt étrangère. Il y a bien quelques produits locaux, mais l’essentiel est le fruit des importations.

    Ce n’est pas parce que chez nous l’arbre fromager est roi qu’il vous faut penser que nous sommes les premiers fournisseurs de sandwichs aux crèmes fondantes, avec la complicité de mon cousin le fruit à pain ! Ce dernier ne produit ni baguettes ni autres viennoiseries croustillantes et odorantes ô combien savoureuses ! Je dois avouer que bien que je me sois habitué à ces plats étrangers, il demeure néanmoins qu’ils ont un goût surprenant et parfois un peu fade, et souvent trop gras. Je crains de finir obèse et diabétique. C’est un comble, car ce sont mes patrons qui se sucrent sur mon dos ! Alors que dans la nature, tout est meilleur et tellement plus goûteux.

    Si vous me demandiez mon avis, je vous répondrais que je préférais le temps où je volais avec mes amis les aras et autres perroquets. C’était l’époque la plus belle de mon existence, celle où la liberté voulait dire quelque chose. Nous pouvions alors prendre conscience de sa réalité quand l’air s’infiltrait entre nos plumes, s’amusant à glisser sur nos ailes et restant un instant à cheval sur notre dos.

    Eux, les touristes, ils disent que cela s’appelle vivre d’amour et d’eau fraîche. Mais je sens bien qu’au fond de leur cœur ils sont un peu jaloux. Je devine que nombreux sont ceux qui voudraient bien évoluer à notre façon afin d’oublier les servitudes et les contraintes que les sociétés modernes leur imposent. Mais d’un autre côté, je trouve que leur mémoire occulte trop facilement que dans les temps anciens c’était ainsi qu’ils vivaient !

    Je vous en supplie, soyez assez aimable, arrêtez de me donner du « coco ». Ça fait un peu cages aux folles. De toute façon, je suis un mâle et j’entends le rester.

    Coco n’est pas mon nom. Ils m’appellent « Kiri » et je vous assure qu’il n’y a vraiment pas de quoi !

     Amazone. Solitude. Copyright N° 00061340-1

     

    PS. Je précise que l’oiseau que vous pouvez voir en photo n’est enfermé qu’aux heures des repas afin qu’il ne s’invite pas à la table des clients. En dehors des services, il est parfaitement libre et a choisi de poser définitivement ses valises à l’auberge. 

     

     

     


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