• Connaissez-vous la Guyane

    — Récemment, une amie m’affirmait que notre pays était encore bien ignoré de la majorité des habitants de la vieille Europe. Pourtant il est aussi merveilleux qu’une émeraude sertie dans une monture d’or au doigt d’une jolie dame. Alors pourquoi son éclat ne porte-t-il pas au-delà de nos côtes ? Serait-ce l’importante mangrove qui l’emprisonne au passage afin d’en conserver les secrets ? Même la belle Ariane emportant dans ses bagages des lambeaux de notre région ne suffit pas à la faire rayonner au-delà de notre ciel. Sans doute est-ce dû au panache qu’elle traîne derrière elle et qui se dissout quelques instants plus tard, à la manière d’un fil qui se tord de douleur.

    Que notre carte géographique soit entièrement verte, ne dois pas vous en étonner. Notre département est la porte d’entrée de l’Amazonie qui vient s’affaler sur les côtes nord du continent sud-américain. Nous rappellerons que notre région est la plus boisée de France, avec un pourcentage élevé : 85 % ! Oui, il fallait bien laisser un peu de place aux fleuves et rivières, ainsi qu’aux savanes dans lesquelles grandissent les contes et légendes nouvellement sorties de la forêt. Cet immense pays que d’aucuns qualifient, « d’enfer vert » n’est en fait qu’un vaste jardin secret dans lequel évoluent les molécules qui soignent presque toutes les maladies. Elles sont à l’abri de la lumière, poussant dans la pénombre des bois, précieusement gardés par les Amérindiens, dignes représentants des peuples premiers, auxquels nul ne songea jamais à les nommer les meilleurs apothicaires de la planète, puisqu’ils gèrent la plus grande herboristerie du monde.

    Notre pays, en fait, est né d’une imposture historique. Il nous faut en effet remonter bien loin pour trouver les premières lignes de nos légendes tenaces. Elles datent de cette époque où les hommes avides de richesses affirmaient qu’au milieu des Guyanes, se dissimulait une cité aux toits d’or. Elle aurait été créée par le dernier Inca après la prise de Cusco par les conquistadores.   Ce prétendu trésor exposé au beau milieu de la forêt attira sur le plateau des Guyanes tout ce que la Terre comptait d’aventuriers. Bien entendu, ils ne trouvèrent jamais la fameuse ville ; beaucoup disparurent sans avoir abordé les berges du lac Paramé, à la surface duquel scintillaient, paraît-il, les paillettes d’or. On prétendait alors que chaque matin les Amérindiens venaient s’y baigner afin de recouvrir leur corps qui brillait dans la lumière du soleil, les transformant eux-mêmes en autant de nouveaux rayons qui les faisaient ressembler à leur dieu. 

    Inutile de vous dire que tous ces hommes pressés de remplir leurs coffres d’un or si facile à ramasser se livrèrent de nombreux combats afin de n’avoir pas à partager un butin que l’on affirmait être considérable.

    De nos jours, si la forêt possède une végétation à la luxuriance insolente, sans doute la doit-elle à tous ces corps d’hommes ayant versé leur sang à l’ombre des grands arbres. Ceux-ci gagnèrent rapidement la proximité du ciel afin que sous leur couvert, on oubliât vite les combats honteux qui se déroulèrent pour posséder des richesses qui étaient nées uniquement dans les esprits d’inconnus. Les végétaux précipitèrent leurs feuilles pour confectionner un humus si épais que plus personne ne retrouva les uns ou les autres chercheurs venus dévaliser la belle forêt innocente. Mais quand la honte et la souffrance s’installent en un lieu plaisant, elles ne sont pas près de l’oublier, et encore moins de l’abandonner.

    Ainsi, après cette époque tourmentée, alors que l’on croyait la région enfin guérie de ses douleurs, les hommes, toujours les mêmes, jamais à court d’idées honteuses, se lancèrent dans le commerce le plus abominable, celui de leurs semblables. L’esclavage s’installait pour des siècles.

    Aboli, les bagnards qui leur succédèrent écrivirent une nouvelle page d’histoire, toujours aussi méprisable. La mémoire de notre pays est lourde de récits douloureux. Comme si cela n’était pas suffisant, entre les lignes de chaque chapitre se glissèrent les maladies et autres fièvres, faisant dire que la région était un mouroir pour les voyageurs audacieux. Quatre siècles plus tard, cette terre d’outre-mer, fille aînée de la métropole, traîne toujours son passé et il est difficile d’arpenter la forêt, notre pas redoutant de heurter un souvenir et de le réveiller.

    Cependant, je puis vous confirmer puisque c’est en son berceau que j’ai établi ma résidence, que nulle part ailleurs le chant des oiseaux n’est aussi beau, car c’est en eux que se sont réfugiées les âmes des hommes valeureux qui ont sorti mon pays de son chagrin. Les fleurs éclatantes sont plus parfumées puisqu’elles recèlent les couleurs et les senteurs de la vie. Ma Guyane sourit chaque jour davantage, ignorant la nuance que lui réserve le ciel.

     

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00048010

     

     


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