• Contes et légendes du pois sucré

    CONFIDENCES NOCTURNES  1/4

     

    Contes et légendes du pois sucré

    – La nuit équatoriale venait de se poser sur les ramures des grands arbres, comme à son habitude, presque brutalement, ne laissant pas le temps de la réflexion aux choses, aux bêtes et aux gens. N’ayant que quelques heures pour faire entendre leur sérénade, chaque famille animale y allait de ses chansons en forme de révérences, sans prendre soin de faire la balance avec ses voisines ; la cacophonie était à son comble. Énervés, les singes hurleurs montraient leur mécontentement, les perroquets n’en finissaient plus de jacasser et même d’invectiver les auteurs de ce concert improvisé. Bref, chacun y allait de ses critiques et de sa mauvaise humeur.

    Il faut dire que la journée avait été suffisamment chaude pour rendre les caractères à la limite du renoncement. La gent animale le savait bien ; il en va toujours ainsi après une saison sèche qui s’était éternisée en brûlant la savane et asphyxiant les premiers arbres de la lisière de la forêt, placés sur le seuil des grands bois, comme s’ils avaient été choisis pour défendre l’Amazonie tout entière. Certes, pour montrer sa bonne volonté, le ciel avait bien ordonné aux nuages de larguer les premières pluies sur l’herbe roussie comme pour lui redonner espoir, mais on était encore loin de l’abondance du précieux liquide. Ici et là, autour de quelques modestes mares, les grenouilles et crapauds essayaient bien de retrouver leurs marques anciennes, mais visiblement, la satisfaction n’était pas à son comble. Seuls les plus audacieux sautaient de trou d’eau en flaques, sans pour autant y trouver un espace confortable. À l’orée de la haute futaie, les plus vieux tenaient des discours maintes fois entendus, que les uns et les autres finissaient par ne plus retenir, à force d’indifférence. Dans les ramures, les grenouilles arboricoles semblaient ponctuer le temps, tels des métronomes, tandis que d’autres, timides, restaient tapis dans des troncs creux et agonisants. Comme une grosse caisse, leurs cassements s’en trouvaient renforcés à ce point que l’on fût en droit d’imaginer qu’en ce tronc, demeurait un animal féroce. Les prédateurs y regardaient à deux fois avant d’y pénétrer.

    Soudain, m’approchant prudemment d’une flaque à l’eau boueuse autant que douteuse, je surpris quelques batraciens échangeant des propos n’ayant rien à voir avec les lamentations de leurs voisines et cousines.

    – Ha ! Très chère amie, s’exclama dame crapaud-buffle, qui visiblement n’avait pas souffert des rigueurs de l’été ; comment est-ce possible de vous retrouver ici, après toutes ces saisons durant lesquelles nous nous sommes perdues de vue ? Soyez aimable de me raconter où vous étiez cachées.

    Surprise, l’interpellée regarda sa voisine, et après l’avoir observée rapidement, elle n’eut plus de doute. Elle était bien cette mère attentive qui s’était occupée d’une nursery, où elle-même y prodiguait des soins et de menus travaux. Il est vrai que cela remontait à longtemps, et l’une comme l’autre aurait très bien pu oublier les traits de l’ancienne amie et collègue. Feignant la surprise en l’accentuant de quelques mensonges, la mise en cause répondit :

    – Pardon d’avoir hésité, très chère ; il me semblait bien vous avoir rencontrée, mais j’étais à chercher en quel endroit, à l’instant où le timbre mélodieux de votre organe vocal me cria que je ne pouvais pas l’avoir oublié ! Oui, je me rappelle parfaitement de vous à présent. Savez-vous que vous m’avez toujours fascinée ?

    – Mon Dieu ! Que me dites-vous là ? En quoi ma modeste et discrète personne aurait-elle pu vous séduire ? Souvenez-vous, je n’ai aucun talent…

    – Précisément, c’est votre effacement qui avait forcé mon rapprochement de vous. Ne vous ai-je pas fait remarquer à l’époque que toutes les Scalas du monde étaient à la recherche de voix comme la vôtre ? N’avez-vous jamais cédé à la tentation de la scène ? Je me souviens comme si c’était hier, que la nursery retrouvait son calme à l’instant où vous y alliez d’une petite romance. Tenez, pour vous dire la vérité, je suis encore sous le charme de ce timbre extraordinaire dont je me demande toujours pourquoi vous ne l’aviez pas exploité. À mon oreille, il sonnait aussi clair que la source qui paraît aux pieds des monts. À mesure qu’elle dévale les pentes, elle chante et varie les intonations, nous donnant envie d’accompagner son cours.

    À cet instant de la rencontre, il faut bien avouer qu’une bonne part d’hypocrisie s’invitait aux propos. Pas de la dame à la voix d’or, bien entendu, car en suivant la conversation, on se doutait bien qu’elle n’a prononcé que quelques phrases de reconnaissance. Par contre, Clara, belle et élégante ex-partenaire de la diva, avait de la difficulté à dissimuler derrière les mots ses réelles pensées. Il faut bien comprendre que ce n’était pas volontaire, mais la dame, depuis tout ce temps, n’avait apporté aucun soin à sa personne. Elle était restée celle que Clara avait quittée bien des saisons pluvieuses avant. Certes, à leur âge, on ne s’élève plus par la taille, seulement de l’esprit. Elle était plus grande qu’elle, mais pas de beaucoup. Mentalement, Clara essaya d’estimer ses mensurations, mais elle s’égara dans les centimètres qu’elle faillit qualifier de doubles ou encore de mètres. Un instant, elle osa penser qu’elle devait être aussi large que haute, ce n’est pas peu dire ! Sa coiffure ne l’avantageait pas, n’ayant pour toison que des cheveux hirsutes et rebelles, taillés sans aucun soin. Son visage était rempli de chair dont on comprenait qu’elle se désolait de ne plus y trouver de place ; alors, tel un glissement de terrain dans une montagne lasse et fatiguée, cette masse adipeuse occupait toute la surface, comblant le moindre trou. Fixant les yeux de la diva, soudain Clara eut peur qu’ils disparaissent définitivement, tant les orbites se retrouvaient comme de simples crevasses malmenées par les moraines. Les lèvres étaient à peine soulignées et l’on devinait que la bouche refusait de perdre du terrain, en obligeant le cerveau à la faire sourire en permanence, afin de retarder l’échéance de l’enfouissement. Le menton n’existait plus. D’ailleurs, on était en droit de se demander s’il fut un jour, ou si la masse graisseuse qui partait de la gorge venant à la rencontre de la lèvre inférieure n’était pas, précisément ce menton travesti.

     

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00061340-1 (À suivre)


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