• Des couleurs pour faire sourires la vie

    — Le village, adossé à la forêt qui s’ennuyait sous les pluies d’une saison semblant ne jamais se terminer, s’était laissé convaincre par une certaine mélancolie. Mais comment en aurait-il été autrement alors, que depuis les carbets, les hommes avaient sous les yeux, le spectacle des arbres qui baissaient leurs branches ? Ils le faisaient à la manière des gens las, desquels se serait enfuie l’espérance, marchant d’un pas traînant sans savoir dans quelle direction orienter les recherches du jour. Même constat du côté du fleuve. Il allait bien trop vite, comme s’il fuyait un danger. Nul ne se serait aventuré à mettre les pirogues dans son courant sans risquer de chavirer. Cette saison, qui ressemblait — sans jeu de mots — comme deux gouttes d’eau à la mousson des pays plus à l’Est, avait installé dans le cœur des hommes autant de gris que le ciel en posait sur le monde. Le soleil lui-même n’osait plus se montrer. Les fleurs refusaient de paraître, elles se confinaient dans les bourgeons qui auraient bien voulu, eux, se libérer.

    Les oiseaux eux-mêmes avaient cessé leurs jeux et ne lançaient plus leurs trilles joyeux et mélodieux. Sous la forêt marécageuse, les fauves grognaient en se réfugiant sur les hauteurs où le peuple des bois s’était donné rendez-vous.

    La vie entière semblait engluée dans un humus acide et spongieux qui emprisonnait le pied des imprudents. Le jour lui-même refusait de s’aventurer sous cette sylve détrempée. Les individus, alanguis et moroses, parlaient peu et restaient dans les hamacs. Ils surveillaient les dernières « cassaves » qui n’en pouvaient plus de cuire sur une « platine » que le bois humide avait de la peine à chauffer, déposant dans le village un brouillard si étrange, que l’on crut être sur une autre planète. Les constructions étaient enfumées et pourtant les moustiques s’accrochaient à la peau comme un naufragé à une bouée.

    Le chef décida que le temps de réveiller ses hommes était arrivé. Il les réunit sous le carbet central et les harangua. Il voulut sa voix puissante pour que chacun saisisse chaque mot et admette sa colère :

    – Nos dieux sont très fâchés, commença-t-il. Ils voient comme moi notre désastre et nos comportements d’hommes vaincus, sans pour autant avoir livré aucune bataille. N’avez-vous pas compris qu’ils attendent quelque chose de nous ? Regardez nos abatis dans quel état ils se trouvent ! Constatez combien le fleuve boueux chasse nos poissons vers l’océan et ses eaux plus claires. Depuis combien de temps vos machettes n’ont-elles pas caressé les herbes folles qui sont en marche vers notre village ? Combien de flèches acérées avez-vous préparées pour partir à la chasse dès la première éclaircie ? Devant votre refus de la vie, nos dieux sont courroucés et ne vont pas tarder à nous infliger leurs punitions. Enfin, continua-t-il, observez-vous les uns les autres. Voyez-vous un sourire sur le visage de votre frère ? Abandonneriez-vous l’existence que les anciens vous ont si généreusement offerte ? Auriez-vous oublié les paroles de nos pères ?

    – S’il fait noir dans votre carbet comme dans votre cœur, fais de la lumière pour rendre le jour meilleur.

    Continuant de fustiger ses gens, il dit encore afin de les persuader de se réveiller et de reprendre le goût de vivre.

    – Femmes, enfants, il est temps de ressortir vos ouvrages. À vos fils et à vos perles, revêtez-vous des couleurs de l’espoir pour égayer les jours. Que les anciennes tissent de nouveaux hamacs, et les plus adroites confectionnent de belles poteries dans lesquelles nous déposerons les offrandes à ceux qui nous les réclament, alors que nous faisions la sourde oreille. Si les rayons refusent d’éclairer notre village, mettons-les sur nos visages et dans le jour. Montrons à nos plus jeunes que nous savons nous passer d’eux. Quant à nous les hommes, il est grand temps de prouver à nos ancêtres que nous n’avons rien oublié de nos traditions. Revêtez-vous de votre kalimbé d’apparat et de vos bracelets de cérémonies. Parez-vous des plus belles plumes ainsi que des perles réservées aux fêtes extraordinaires.

    Apportez vos flûtes et vos tambours et ceignez vos chevilles de maracas. Vos pas de danse scanderont les mélopées tandis que de vos gorges monteront des notes qui seront autant de prières adressées au soleil. Que nous importe s’il ne brille pas en notre ciel. Si nous le faisons resplendir en nos cœurs, ce sera suffisant pour qu’en nos esprits le bleu qui manque dans le firmament s’installe et nous redonne le courage de vivre les jours, même s’ils nous paraissent hostiles.

     

     Amazone. Solitude. Copyright N° 00048010-1


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