• DES MOTS POUR BLESSER

    DES MOTS POUR BLESSER– Inutile de me le dire, Alexandra ; je sais que tu n’aimes pas que je regarde par-dessus ton épaule.

    – Alors, si tu es au courant, pourquoi t’entêtes-tu à venir t’y percher comme une hirondelle sur son fil ?

    – Tu vois, comme tu es ; tu ne supportes pas ma présence près de toi, mais tu t’accommodes très bien du fauteuil que notre père m’a ramené de la Louisiane.

    – Je ne prétends pas le contraire, mademoiselle la chipie. Cependant, je dois te rappeler que maman dit toujours que tout ce qui est dans notre maison est le bien de tout le monde !

    – Peut-être le dit-elle, quand elle ne prend pas franchement position dans nos querelles. En tout cas, en présence de sa propriétaire, l’objet ne peut que lui appartenir, et que tu le veuilles ou non, cette bergère est à moi ! D’ailleurs, je te fais remarquer que tu es bien trop grosse pour l’occuper. Tu finiras par le déformer !

    – Comment, je suis grasse ? Tu crois sans doute que je vais me laisser insulter par une petite pimbêche et une morveuse de ton espèce ? Ne sois pas surprise si tu n’es pas près de retrouver ce siège. Si je veux, je n’ai qu’à tendre le bras pour le mettre dans le feu. Ainsi, il ne fera plus l’objet de nos querelles.

    – Eh bien, moi, si tu le fais, je te ferai goûter au tisonnier. Et puis, pour répondre à ta méchanceté, je vais dire à maman que tu lui voles ses romans quand elle s’absente, pour les lire en cachette !

    – Si cela te plaît, personne ne t’en empêchera ; et nous rirons bien, car c’est elle qui me les donne.

    – Menteuse ! Ma grande sœur me prend pour une idiote. Tu t’imagines sans doute que je ne t’ai pas remarquée, ce matin, quand tu t’es servie alors que mère était tout juste sortie ? Tu te crois réellement seule au monde ! À part toi dans cette maison personne d’autre ne compte. Et puis, je ne sais même pas pourquoi je discute avec toi. Tu méprises trop les gens autour de toi. Je suis plus jeune que toi, cela ne fait aucun doute. Mais j’ouvre les yeux et j’y vois clair ! Tu n’es qu’une égoïne, voilà le genre de fille que tu es !

    – Ah ! Laisse-moi rire, ma pauvre petite ignorante ! Avant de te mêler des affaires des grands, va donc apprendre à lire et à écrire !

    – Je sais déjà, mademoiselle !

    – Alors tu as manqué des leçons, ma chère.

    – Ta réflexion est désobligeante. Je connais autant de choses que toi.

    – Dans ce cas pourquoi dis-tu une égoïne au lieu d’une égoïste ? Tu vois bien que tu ne comprends pas ce que veulent dire ces mots.

    – Peut-être que je ne le sais pas, mais ce n’est pas le problème d’aujourd’hui. Ce qui m’intéresse, c’est de récupérer mon fauteuil. Le reste, je m’en fiche.

    – Écoute, Virginie, nous n’allons pas nous battre pour ce malheureux siège à bascule. Si tu me laisses lire en paix, je te raconterai l’histoire, bien qu’elle ne soit pas pour une jeune fille comme toi.

    – Si elle n’est pas pour moi, je ne vois pas comment elle peut l’être pour toi. Nous n’avons pas tant de différence que tu l’imagines.

    – Oui, mais à nos âges l’écart est très important. J’entendais les parents qui en débattaient, l’autre jour. Et tu sais ce qu’ils disaient à ce propos ?

    – Je suis certaine que tu vas prétendre des choses que tu viens d’inventer.

    – Non, Virginie, c’est la vérité. Ils s’étonnaient qu’entre nous, il y ait une si grande fracture. Ils comparaient nos comportements au même âge.

    – Et alors ?

    – Il se trouve que j’étais beaucoup plus avancée que toi. Ils remarquent que tu te laisses trop vivre aux dépens des autres. Et qu’ils envisagent de mettre en pension pour rattraper ton retard. Ici, notre vie est trop douce.

    – Ils ont réellement dit cela ?

    – Absolument, je te l’assure.

    – Même père ?

    – Oui ; et aussi que mère a ajouté que tu es trop sur son dos et que cela te fera du bien d’en être séparé quelque temps.

    – Tu vois, comme tu mens, Alexandra. Je sais très bien que papa m’aime plus que toi et que tu en es jalouse. Jamais il n’aurait dit cela de moi. Ce soir, je vais lui poser la question.

    – Tu feras comme tu veux. Moi, je rapporte ce que j’ai entendu. En tout cas, je t’aurai prévenue, donc tu ne seras pas surprise.

    – Je vais demander aux deux, mais séparément. Et si tu as menti, c’est toi qui te feras gronder. Et peut-être qu’ils t’enverront en pension pour te corriger. C’est sans doute de cette façon que je poserai la question aux parents, afin qu’ils se rendent compte combien tu es méchante avec moi. On ne peut imaginer de quoi sont capables des adultes en colère, ma chère Alexandra.

    – Bon, et maintenant si nous trouvions un terrain d’entente, Virginie ? Après tout, est-ce si important que tu lises par-dessus mon épaule, et que je sois dans ton fauteuil ? Je vais te le céder. Et puis, tout ce que j’ai dit, c’était juste pour que tu me fiches la paix.

    – Peut-être est-ce la vérité ; mais j’en doute, car lorsque l’on prononce des mots, c’est que nous les pensons avant de les annoncer. Je verrai ce soir ce que je ferai ou non. En attendant, je vais dans la chambre, tu peux finir ton livre. De toute façon, je n’y comprenais rien.

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