• Discrète évasiion

    — Des voyages, la belle et élégante grand-mère, au long de sa vie, elle en avait de nombreux. Toutefois, en ce temps-là, on peut dire qu’ils étaient interminables, car c’était les bateaux qui menaient les passagers d’un continent vers un autre. Il arriva même qu’il fût nécessaire d’en contourner un pour enfin, au bout d’un voyage dont on ne voyait plus la fin, découvrir le cher vieux pays. Puis, les ans s’écoulèrent, comme toujours, ignorant les états d’âme des uns et des autres et une nouvelle fois, grand-maman fut réveillée par le désir de voyager.

    Pour venir à notre rencontre, l’avion avait remplacé les navires qui se laissaient chahuter sur des océans pas toujours dociles. Cette fois, neuf heures suffirent pour sauter par-dessus les flots et arriver en un lieu qui dès sa sortie sur le tarmac ne lui sembla pas étranger. Elle se sentit immédiatement chez elle sur cette terre qui ressemblait tant à une autre. De plus, les siens étaient là à l’attendre et il n’en fallut pas davantage pour qu’elle s’imagine de retour à la bonne vieille maison de ses ancêtres.

    Dans ce petit coin d’Amazonie, l’odeur acide de l’humus mélangé à l’humidité que les alizés apportent et déposent çà et là lui avait rappelé ses forêts tout aussi majestueuses. Il y avait les parfums, ces couleurs, ces bruits qui l’avaient très vite transportée là bas de l’autre côté du monde, au cœur d’une grande île déposée sur les eaux ; celles de l’océan Indien. C’était Madagascar, sa Terre natale. Elle n’y faisait jamais allusion depuis son départ. Il ne s’était pas fait sans regret. Imaginez plutôt ; presque toute une vie à parcourir le pays ! Cela nous laisse le temps et, nous invite à écrire des histoires fabuleuses, même si parfois, elles tirèrent aux yeux des larmes que la terre rouge s’empressa de dissimuler.

    Chez nous, aux heures chaudes de la journée, quand elle se reposait sous la galerie bien ventilée, il n’y avait qu’à suivre son regard. Il se réfugiait avec délicatesse dans la ramure des manguiers et soudain, son visage s’éclairait d’une lueur nouvelle. Il ne fallait pas parler afin de ne pas troubler le songe. Les pensées s’enfuyaient par delà les grands arbres, et l’on pouvait deviner les souvenirs sautant de branche en branche. Ils vagabondaient et s’interpellaient en riant, remontant le temps. À cet instant, elle était peut-être du côté des rizières de ses parents où sa jeunesse fut heureuse. Rapidement, à travers ses yeux fermés et au sourire éclairant discrètement son visage, on devinait qu’elle rejoignait sur la pointe des pieds celui qui fut son compagnon durant un demi-siècle. Une existence à parcourir l’île, les plantations, la côte et les plateaux. Elle l’avait suivi quand il fallait ouvrir des pistes, traquer le gibier et même affronter la rébellion.

    L’observant à la dérobée, je trouvais merveilleux ce pouvoir qu’ont les gens d’un certain âge à s’amuser avec les époques. Ils vont de l’une à l’autre comme s’ils n’en avaient jamais été différemment. Ils nous expliquent avec une infinie patience que le temps passé comme celui d’aujourd’hui et demain ne sont fractionnés que par le fil qui sépare le jour de la nuit. Sans jamais en parler, ils aiment vivre au présent, profiter et apprécier chaque délice de l’existence. Ils ne redoutent pas le futur et ses angoisses et se jouent des événements dont ils surent presque toujours anticiper.

    Cependant, au passé, ils ne referment jamais complètement la porte. Mieux, ils ne lui tournent pas le dos. Ils n’ignorent pas qu’il suffit de tendre la main pour saisir telle image ou telle autre. Quand cela est nécessaire, ils n’hésitent pas à déposer au fond du placard aux souvenirs, et pour toujours, ceux qui tenteraient de troubler les instants de plaisir.

    Quand ils se racontent, ils sont pareils à nos livres dont il suffit de tourner les pages pour découvrir les images du temps écoulé. Sans mot inutile, ils nous expliquent que ce sont des émotions intimement entrelacées avec les choses et les gens. Si au cours de la vie nous avons distribué des sourires et serré des mains qui tremblaient, alors plus nombreux sont les sentiments du bonheur qui éclairent nos vieux jours.

     

     

    Amazone. Solitude. Copyright n° 00048010-1  


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