• Du paradis à l'enfer, le même jour 1/4

     

    Ces lignes sont dédiées à mon amie Chantal. Pour avoir passé un instant au paradis, tous ceux qui suivirent la conduisirent en enfer.

     

    – L’histoire que je vous propose ne m’appartient pas. Elle est celle d’une dame qui me l’a confiée, alors que nous étions à échanger nos souvenirs d’enfance, feuilletant en souriant nos reflets de mémoires. Ne nous y trompons pas ; parmi ceux-ci, il y en eut aussi de moins agréables. Cependant, au milieu des images qui se présentèrent au balcon de notre jardin secret, il me plut de retenir la plus originale, la plus inattendue, en un mot, celle qui entraîna mon amie dans une telle aventure qu’elle eut le privilège de découvrir le paradis, avant d’être précipitée en enfer, et cela au cours de la même journée. Mais si vous le voulez bien, écoutons-la nous raconter cette journée particulière ; ainsi, remontons-nous le temps jusqu’à ce jour de décembre 1961, tandis que Noël affichait ses couleurs, dans toute la ville. Nous sommes dans le nord, ce pays singulier, qui grava dans l’esprit de nombreuses générations, des marques particulières, souvent très douloureuses.

    – J’avais 5 ans, nous dit Chantal. Nous habitions dans un quartier que l’on aurait dit être réservé qu’aux pauvres gens, tant il était triste, avec ses maisons alignées bordant une cour boueuse ou poussiéreuse, selon la saison. Toutefois, la vie s’y écoulait comme ailleurs, apportant son lot d’événements à la façon qu’a le laitier de déposer chaque matin la bouteille du précieux liquide sur le seuil de la maison, sans chercher à comprendre ce qui se passe derrière la porte. Mais à mon âge, on ignorait les mots qui décrivaient la pauvreté, de même que ceux qui parlaient de souffrances ainsi que d’autres qui engendrent la douleur et le désespoir. L’esprit d’un enfant de cet âge à ceci de particulier, qu’il sait transformer le brouillard en une robe de mariée épousant la nature environnante, de même qu’il se complaît à rendre un ciel gris d’hiver en un azur bleu comme seul peut l’offrir l’été. Cependant, le froid était si intense qu’il interdisait toutes spéculations hasardeuses. Ainsi, le bonnet en laine enfoncé jusqu’aux yeux, les mains profondément enfouies dans les poches, j’essayais de leur communiquer le peu de chaleur que mon corps frêle tentait de faire traverser mes vêtements, alors que j’empruntais le chemin qui menait à l’école maternelle. Je me souviens que je me pressais. Oh ! Ne croyez pas que ce fut pour le bonheur que j’éprouvais de me retrouver en compagnie de mes copines avec lesquelles j’avais une amitié sincère, ainsi que mes petits compagnons, mais pour y réchauffer mes membres engourdis, et faire arrêter les claquements de dents qui n’en finissaient pas de taper les unes sur les autres et attendre que les frissons qui courraient sur ma peau cessent leurs allers et retours.

    Un soir, à la sortie de l’école, je décidais de passer par une nouvelle rue, juste pour voir comment les quelques boutiques préparaient les fêtes de Noël, dont l’institutrice nous avait entretenus durant la classe. Oh ! On était loin de la débauche des grands magasins du centre-ville. Dans notre quartier que l’on aurait dit être celui d’un autre temps, quelques lumières de couleurs suffisaient pour mettre dans les esprits des enfants quelques notes joyeuses. Je flânais depuis un moment, laissant mes yeux regarder ici ou là, sans qu’aucune pensée se décide à créer en moi un désir particulier, habituée que j’étais à me contenter du peu qui nous était offert à la maison, lorsque je tombais en admiration devant la vitrine d’une modeste boutique de bonbons. Il y en avait de toutes les couleurs, de toutes les tailles, dans des coffrets ou des bocaux. Quand la porte s’ouvrait ou se fermait, une odeur sucrée suivait l’entrant ou le sortant, en même temps qu’une clochette faisait retentir son tintement, comme pour me dire que je ne devais pas oublier ces parfums. Je contemplais sans envies particulières toutes ces friandises offertes à ma vue, lorsque soudain, je le découvris !

    Moi, qui jusqu’alors n’avais jamais été visitée par un quelconque désir, le regardant, je devinais qu’il ne pouvait que m’être destiné. Ah ! Qu’il était beau, tout rose, paraissant d’une douceur extrême, et qui plus est, me tendait les bras !

    Mais quelle est donc cette friandise qui avait le pouvoir de me mettre dans un tel état, me demanderez-vous ? Je ne vais pas vous faire languir plus longtemps. Celui sur lequel je jetais mon dévolu était un merveilleux Jésus en sucre rose. Pour augmenter mon désir, je me persuadais qu’il me regardait en me disant « gentille petite Chantal, tu attends quoi pour venir me délivrer de cette position inconfortable » ? Alors que je vous livre ces lignes, en mon esprit, il est toujours présent ; il était si beau ! J’eus beaucoup de mal à détacher mon regard de ce petit Jésus ; à l’instant où je me décidais à reprendre le chemin de la maison, je sus que mes rêves me conduiraient à nouveau vers la boutique où m’attendait, je n’en doutais plus, l’objet de mes convoitises. Le supplice dura plusieurs jours. Après l’école, je venais rapidement me poster devant la vitrine où s’impatientait, me semblait-il, celui pour qui je salivais. Le froid me mordait, mais fixant celui qui au fil du temps était devenu ma friandise je ne le sentais plus. Mes mains au fond des poches se désolaient de ne pas trouver la pièce qui m’aurait permis de l’acheter. Un soir, n’y tenant plus, je rentrais à la suite d’un adulte dans la boutique, afin de le voir de plus près. Il y avait des milliers de confiseries, autant de parfums, mais étrangement, mon regard n’était attiré que par lui. Qu’il était beau ce petit jésus de sucre ! Mes yeux le caressaient, la salive emplissait ma bouche. C’est alors que d’une voix tremblante d’émotion je m’enquis du prix de cette douceur extraordinaire. Je remerciais et sortis, non sans jeter une dernière fois un coup d’œil à la friandise, comme pour lui dire :

    Attends-moi, je reviens te chercher bientôt. (À suivre).

     

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