• Du paradis à l'enfer, le même jour 2/4

     

    – Chaque soir, je revenais vérifier si celui que je désirais était à la même place, et après avoir constaté qu’il s’y trouvait toujours, je repartais le cœur triste, mille pensées envahissant mon jeune esprit, y installant une terrible tempête. Cette dernière nuit, je ne fus pas visitée par de beaux songes, mais des tourments de toutes sortes. C’est alors que je pris la décision ; ce soir, le petit Jésus rose serait à moi.

    Le matin me trouva dans une telle exaltation, que ma mère en fut surprise. 

    – Eh ! Me diras-tu ce qui t’arrive ce matin que je te vois bien excitée ? Que t’arrive-t-il à aller dans tous les sens, comme si tu avais perdu quelque chose ? Je remarque que dans ton empressement tu ne t’es pas aperçue que j’étais là !

    – Ce rappel à l’ordre me fit revenir sur terre, mais ne m’empêcha pas de continuer à chercher l’objet que je convoitais : le petit porte-monnaie de mon père. Un instant, constatant son absence de la pièce, j’imaginais qu’il avait dû le prendre avec lui, conduisant droit mes désirs vers un échec. De dépit, quelques larmes montèrent même jusqu’à mes yeux, à la pensée que la chose pour laquelle je vivais depuis quelques jours resterait à tout jamais un rêve, un désir inassouvi. À l’instant où, dans le plus grand désarroi je me voyais abandonner mes recherches, mon regard fouillant chaque recoin de la cuisine sans succès, une petite voix me souffla :

    – Tu ne te souviens pas de la remise, fillette ? Comment peux-tu oublier les habitudes de ton père ?

    – Mais oui, bien sûr, cette pièce, je ne pouvais pas ne pas y penser, et cela pour une bonne raison, que je redoutais d’y pénétrer tant elle m’effrayait. D’abord, elle était le lieu où je purgeais les punitions infligées pour je ne sais quelles fautes, ou plus sûrement pour toutes, car j’étais, pour mon âge, une fille délurée, comme on avait l’habitude de nommer les enfants turbulents, toujours à la recherche d’une nouvelle bêtise. En fait, après réflexion, j’étais un garçon manqué. Alors, faisant suite à un moment de grande déception, après que la petite lumière se fut mise à clignoter en mon esprit, mon cœur battit si fort que je crus qu’il allait m’abandonner, me contraignant à faire de gros efforts, afin que ma mère ne voie pas les tremblements qui agitaient mon corps. Mes jambes flageolèrent à ce point que je redoutais un instant de m’écrouler. À l’étage, dans la chambre réservée aux enfants, c’est le moment que choisit mon jeune frère pour faire entendre un hurlement de frayeur probablement victime d’un nouveau cauchemar. N’écoutant que son cœur, ma mère se précipita à son secours, me laissant le champ libre.

    – Maintenant ; ou jamais, lança à nouveau la petite voix !

    – Il ne suffit que de quelques secondes pour me décider, en rejetant le plus loin possible mes craintes quant au local. À cette étape de la narration je me dois de vous dire que je ne le redoutais pas à cause de son exiguïté et le fait que mon père éteignait la lumière, me laissant des heures dans le noir, à ruminer les causes pour lesquelles je me retrouvais en ce lieu maudit, mais pour une tout autre raison, pour laquelle aujourd’hui je souris à son évocation. Ma mère y avait sans doute oublié une pomme de terre et dans l’obscurité, celle-ci avait germé. La vision de ce légume tout ridé me faisait penser à un monstre lançant de longs tentacules blancs à la recherche de sa prochaine victime, afin de la dévorer. Surmontant mes émotions, je me dirigeais vers la veste de mon père, suspendue à un portemanteau bancal, et vivement j’en inspectais les poches. Quand mes doigts rencontrèrent l’objet de mes recherches, j’ai cru que mon sang s’arrêtait de couler dans mes veines ; j’étais consciente que j’allais commettre une bêtise qui pouvait attirer sur moi toutes les malédictions du ciel et de la Terre. Mais la vision du Jésus me souriant m’encouragea à terminer mon geste. Rapidement, je sortis le porte-monnaie et trillant les pièces, je pris celle qui correspondait au prix de la friandise. Ma mère n’était toujours pas redescendue, que mon forfait était accompli, et que, bien que tremblante, la tête ailleurs, je terminais mon bol de lait. Peu de temps après, je sortis, avec dans la poche la clef qui devait me permettre avant la fin de ce jour d’accéder au bonheur.

    Ô ! Qu’elle fût belle, cette journée, que d’aucuns dirent qu’elle était la plus glacée du mois. C’est à peine si je sentais le froid qui obligeait les uns et les autres à rentrer la tête dans les épaules. Certains avaient un bonnet enfoncé jusqu’aux yeux, d’autres une casquette avec des protège-oreilles, revêtus de longs et épais manteaux les faisant paraître plus larges que hauts. La main dans ma poche, je ne lâchais pas la pièce, qui à cet instant, me donnait la plus belle assurance que jamais je n’eus jusqu’à ce jour. Mais dans le même temps, je formulais toutes les prières à l’intention de ce merveilleux petit Jésus qui, je n’en doutais plus, au soir serait à moi. (À suivre).

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00061340-1

     

     

     

    Photo Robert Doisneau


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