• En épluchant la vie

    — Quand on emprunte les chemins qui mènent à la source de la vie, il n’est pas rare de tomber sur des scènes paraissant d’un autre temps. Mais en réalité, ces temps qui nous ont permis de devenir ce que nous sommes, sont-ils si éloignés de nous, que nous ne voulions plus nous en souvenir ? Et si nous avions le courage de comparer les existences, aurions-nous l’audace de renier ce qui nous fut bon ?

    Quand je vois dans nos villages les enfants épluchant le manioc en reproduisant aux gestes près ceux de la mère, je me dis en toute humilité que nous sommes passés à côté de quelque chose de merveilleux. Et si c’était eux qui détenaient la vérité que les hommes de toutes confessions recherchent depuis si longtemps, me dis-je à voix basse pour ne pas troubler l’instant ? Je sais parfaitement qu’il ne nous fut pas aisé de devenir des adultes responsables. Nous aussi, nous avons dû mener moult combats et souvent il nous fallut revenir sur nos pas pour retrouver les signes des anciens qui avant nous, pour nous faciliter l’existence avaient tracé des marques dans lesquelles nous aurions pu découvrir l’essentiel de nos besoins, si nous nous étions donné la peine de nous pencher au-dessus.

    Nous étions devenus des hommes sans même nous en rendre compte. Nous avions à peine franchi le fossé qui sépare les générations, que nous insistions déjà pour être reconnus comme des adultes ayant une longue expérience.

    Hélas ! Le chemin était encore trop court, et il semblait nous faire comprendre qu’il est parfaitement inutile de chercher à devancer le temps qui nous est réservé ; surtout lorsqu’en nos souvenirs résonnent comme si elles étaient chantées seulement la veille des chansonnettes pour enfants ainsi que les berceuses dont les paroles avaient séduites nos jeunes esprits. En fait, parce que nous ne voulons pas reconnaître cette réalité qui cependant nous colle à la peau, nous avons le sentiment que c’est bien la vie qui a la fâcheuse habitude de passer trop vite, faisant les efforts nécessaires pour nous arracher à la langueur de notre enfance. À contrecœur, nous estimons qu’elle nous plonge trop tôt dans l’apprentissage du métier d’homme dont nous ne nous sentons pas les qualités requises pour en supporter tout le poids. Parfois, j’ai la désagréable impression que nous avançons à reculons dans la vie qui, cependant, nous ouvre toutes grandes ses portes et ses fenêtres. Dans un petit coin de notre cerveau, nous pensons qu’il existe une certitude ; celle qui nous fait croire que nous sommes nés avec dans l’esprit et dans le cœur, les instincts qui nous conduiront directement vers l’âge adulte sans passer par la case départ.

    Quelle grossière erreur !

    C’est chaque jour qu’il nous faudra apprendre la vie, chaque matin qu’il nous faut découvrir les secrets d’une existence qui se complaît à nous entraîner dans les méandres du temps. Ce n’est pas au début du sillon qu’il nous faut apprivoiser le maniement de la houe et l’accomplissement des gestes parfaits qui conduisent à la précision. La connaissance des mots est souvent inutile si nous ne parvenons pas à les assembler pour qu’à la fin ils chantent de merveilleuses comptines qui donnent à l’aurore sa fraîcheur et sa lumière discrète.

    De tous les combats, il en est un qui sera le plus difficile à gagner. Celui que nous devons mener contre nous-mêmes.

    Il n’est pas étrange que nous ressemblions tant aux animaux, même si notre plus belle conquête reste le cheval, que le chien soit notre meilleur ami et que nous confions nos rêves à l’oiseau qui les transporte sur ses ailes.

    Pareils à eux, nous avons besoin d’être apprivoisés et toujours rassurés.

    Il est inutile de chercher en tous sens où se cache notre ennemi. Il est en nous ! Il nous défie pour mesurer notre capacité à affronter le monde qui nous entoure.

    Afin de reconquérir notre sérénité, il nous faut retourner dans notre histoire d’enfant, alors qu’il nous suffisait de regarder les grands pour comprendre que le bonheur était aussi mince qu’une pelure de légume qui disparaissait après chaque passage de la lame, comme le font les jours les uns à la suite des autres.

    Il fallait alors prendre garde à ne pas faire des épluchures trop épaisses, afin de préserver le plus longtemps possible les qualités de notre cœur ainsi que celles de notre vie.

     

     

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