• Entre le marteau et la pierre, la vie.

    — Dans le confort d’une existence taillée, semble-t-il, à notre mesure, parcourant le monde nous restons stupéfaits devant certaines situations ou pratiques que nous pensions disparues depuis des siècles. Alors, les larmes prenant possession de nos yeux, la colère nouant nos « tripes » on se surprend à maudire ceux qui poussent les innocents à devenir des hommes avant l’âge, créant ainsi en leur esprit, des songes et des rêves qu’ils ont du mal à maîtriser, parce qu’ils ne les comprennent pas. Mais comment pourrions-nous imaginer que pour ces enfants la question ne leur vient jamais à leur esprit, et ne se pose même pas de savoir s’ils peuvent refuser de travailler ? Quand on a pris la mesure des souffrances d’un ventre criant famine, pourraient dire en chœur les petits oubliés du tiers monde, a-t-on le droit de repousser le morceau de pain qui, plongé dans la soupe claire, viendra gonfler l’estomac pour le calmer ?

    Il en va ainsi, en de nombreux pays de notre monde et dans les villages qui hébergent des familles misérables, qu’il ne s’y trouve personne de bien portant ou presque pour oser détourner le regard devant la tâche immense et démesurée, relevant d’une autre époque, qui, pourtant, est le destin tragique de certains enfants.

    – Si tu veux que la route te conduise loin de la misère, commence par la construire, croit-on entendre de-ci, de-là. Si tu ne la désires pas hostile à ta marche, fais en sorte qu’aucun obstacle ne l’encombre, jusqu’au moment où elle rencontrera les doux pavés qui ornent les environs des palais. Hélas ! combien de fois ces paroles seront-elles entendues dans les cauchemars qui servent de rêves à ceux, qui, au fil des jours, comprennent que le chemin qu’ils mettent en place ne verra pas leurs pieds déjà écorchés avant d’avoir su marcher.

    – Pauvres bambins ; loin de tout questionnement, ils n’auront que leur innocence, et leur courage qu’ils écouteront, plutôt que leur volonté, pour concasser la pierre jusqu’à la rendre gravier et même grain de sable, sans jamais poser sur l’horizon un seul regard pour savoir ce qui se cache derrière. Parce que chez eux, ils ne virent jamais personne renoncer à faire toutes les tâches, parmi les plus dégradantes, ils frappent tout le jour afin que d’autres, les pieds chaussés de confortables souliers, avancent en chantant et souriant sur la sueur des innocents sans daigner leur jeter un regard de compassion. 

    Au fur et à mesure que l’enfant grandira, comme si la nature les avait choisis exprès pour lui, les pierres seront plus grosses et plus dures ; mais elles se feront également importantes, ressemblant à des rochers qu’il faudra réduire, quel qu’en soit le prix de la souffrance. Mais au fil du temps, les outils deviendront plus lourds, et les éclats aussi se feront plus gros et les douleurs qu’ils engendreront déchireront les chairs.

    Ainsi, de blessure en blessure, la route s’allonge-t-elle oubliant le nom de tous ceux qui auront inscrit sous une roche leurs souffrances, car la pudeur interdit aux larmes de séjourner au soleil. Parfois, une fleur d’aspect aussi dépouillé que celui du travailleur indique qu’elle n’est pas là pour égayer le jour, mais pour dire au passant qu’en ce lieu, de petites mains innocentes ont fait de ce calvaire un chemin agréable. Cependant, pour celui ou celle qui repose ici, elle n’aura pas conduit vers l’horizon, qu’il n’aura de toute façon jamais découvert, puisque son regard fut toujours rivé à l’outil. 

    Voyez-vous, si le travail commence si tôt chez les déshérités, c’est que le destin les avait oubliés, de même que personne n’avait songé à tracer le moindre chemin qui les eut conduits jusqu’à eux, pour leur indiquer qu’un monde meilleur existait bien ; il n’était pas qu’une légende qui se colportait au long des jours de dur labeur. 

    Aujourd’hui, passant non loin de leurs humbles demeures, en tendant l’oreille on peut encore entendre leurs pensées murmurer : 

    « Que sont donc les promesses que nous font notre existence, sinon, mourir à petit feu ? ». 

    Alors, docilement ils vivent ; chaque jour, ils écrasent la vie entre deux pierres, la faisant éclater en mille morceaux, comme le fait le chagrin en laissant s’écouler les larmes, à l’instant où l’outil blesse les doigts qui, cependant, n’étaient destinés qu’à donner ou recevoir des caresses, tout au long de l’existence, mais qui resteront ignorées et mystérieuses.

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00061340-1

     

     


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