• Et le soleil revint

    — Il n’avait suffi que d’un rayon de soleil pour que le monde semble s’éveiller d’un sommeil dans lequel la pluie l’avait plongé depuis des mois.

    Je dis un long sommeil, alors que la torpeur serait plus juste. Les jours qui se levaient se ressemblaient tous ; on aurait cru qu’ils revenaient du cimetière où ils avaient assisté aux obsèques de l’un des leurs. Ils avançaient lentement, le nuage bas, laissant s’écouler tant de larmes qu’il nous semblait que jamais elles ne cesseraient.

    Nous devons admettre que nous ne sommes pas faits pour demeurer dans l’ombre. Nous avons besoin de la lumière pour, telles les fleurs, nous épanouir complètement. La grisaille force le caractère à se replier sur lui-même, les pas se font lourds et traînants et nous ne prêtons plus attention à ce qui se passe autour de nous. En nos esprits, le vide prend ses aises et si aucun évènement heureux ne vient à stationner sur le seuil de nos portes, nous sommes à deux doigts de nous laisser submerger par la mélancolie.  

    C’est alors que vous étiez sur votre terrasse, le regard fixé vers la trouée de la forêt attendant les prémices du nouveau jour. D’abord, vous ne vîtes rien. Tout juste entendiez-vous quelques bruits furtifs. C’étaient ceux des résidants des grands bois se croisant en silence, repus pour les uns, déçus pour les autres, comme s’ils rentraient d’un concert où la musique fut mauvaise. Levant la tête, par delà le ciel, vous essayez d’apercevoir les derniers souvenirs de quelques étoiles. Hélas, elles sont emmitouflées dans une brume si épaisse que l’on s’imagine alors que l’on nous a volés la nuit pendant notre sommeil. Il n’y a que quelques traits plus sombres qui traversent l’espace en nous frôlant. Ce sont les chauves-souris qui filent vers leurs dortoirs.  

    Comme les autres matins, les oiseaux chargés de réveiller bêtes et gens ne se pressent pas pour lancer les premiers trilles. Ils attendent eux aussi d’apercevoir la première tendance pour confirmer au monde qu’il peut rester encore un moment au chaud, s’enveloppant douillettement dans les ramures. Aucun souffle n’agite les grandes palmes qui nous feraient comprendre en bruissant légèrement, que la nature respire, quand soudain, à travers les houppiers dominant la forêt, une clarté s’amuse à faire des ombres chinoises qui se meuvent entre ciel et terre.  

    Tous nos sens sont en alerte. Après une longue attente, enfin quelque chose se passe. Comme pour freiner notre enthousiasme, une brume épaisse s’élève au-dessus de la terre et va rejoindre un brouillard qui stagnait sur le toit de la forêt.  

    Pareillement au théâtre, derrière le rideau rouge, on installe les éléments qui vont constituer le décor de la journée. Tel le clairon dans les casernes, le troglodyte familier nous avertit qu’il est l’heure de nous réveiller et que nous devons nous accouder au balcon du monde si nous voulons ne rien perdre de la fête qui va se dérouler sous nos yeux. Son chant strident et impérieux nous dit que nous n’allons pas être déçus. Avec la grande sensibilité qui le caractérise, il a déjà senti que ce jour ne serait pas ordinaire et que ceux qui n’assisteraient pas à son lever ne sauront jamais ce qu’ils ont perdu, car expliquer à l’émotion près est chose quasiment impossible tant les évènements qui se succèdent sont grandioses.

    On ne peut que regarder en nous gardant bien d’applaudir afin de ne pas effrayer l’un ou l’autre des éléments qui s’ajoutent au décor déjà en place. La lumière discrète a profité du temps qui lui était accordé pour s’affirmer et prendre une belle couleur rosée. Le soleil ne serait donc pas absent de ce lever ?  

    Chez nous, pratiquement à l’équateur, l’existence ne connaît pas la fonction « arrêt sur image ». Elle s’enchaîne à vive allure nous demandant d’être vigilants si nous ne voulons pas manquer les plus belles. La brume s’épaissit encore grâce à la température qui s’élève. C’est bien le signe que la journée sera magnifique !

    À travers quelques déchirures du voile vaporeux, les premières lueurs du soleil prennent soin de demeurer un instant à l’horizontale afin de ne pas aveugler les curieux et ceux qui s’éveilleraient surpris par tant de luminosité. L’effet est radical.

    Telle la baguette du chef d’orchestre, avec les rayons pourfendant le brouillard, l’alizé, de son souffle léger, finit de réveiller la nature en l’agitant doucement. Le rideau de brume s’anime. Elle s’amuse à faire des volutes, se faufile à travers les arbres, cherche un chemin de repli dans la canopée où elle se déchire davantage. Le jour profite de ce que la porte est restée ouverte pour s’engouffrer sans en demander la permission. Il y a quelque chose de magique dans ce lever d’un jour nouveau.  

    Le soleil est de retour ! Ses rayons s’allongent et deviennent obliques, accrochent des milliers de diamants aux feuilles et aux rameaux des végétaux.

    La brise légère les agite doucement, en nous donnant l’impression que ce sont des guirlandes lumineuses et multicolores clignotant pour nous émerveiller. Nous sommes alors à ce moment précis, tels des enfants devant le beau sapin de Noël. Nous ne savons plus de quel côté porter notre regard. C’est la nature tout entière qui s’enflamme sous nos yeux.

    Le silence se rompt brusquement. Nous ne sommes plus les seuls à avoir retrouvé notre joie de vivre. Pour ajouter à notre enchantement, le ciel s’est offert une nouvelle couleur bleue, ne permettant à aucun nuage de le traverser.

    Nul doute qu’aujourd’hui les cœurs seront rayonnants ! Ils seront heureux comme les malades qui sortent enfin d’un douloureux cauchemar de souffrances et qui, ayant trop longtemps douté, se pressent de revenir à la vie sans même passer par la phase de la convalescence.

    Mais comme nous sommes d’un naturel méfiant, surpris de nous être laissés emportés par nos émotions, nous ne pouvons nous retenir de jeter le trouble sur cette belle journée qui s’annonce en nous demandant si elle compte en inviter quelques autres à sa suite, ou est-ce juste pour nous faire envie, et nous secouer de la léthargie dans laquelle nous sommeillions depuis si longtemps.  

    Qu’importe, finissons-nous par nous dire. Le soleil est là, pour quoi attendre pour en profiter et le remercier de nous offrir un moment de vie nouvelle.

     

     

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