• Ils ont vendu leur âme

    — À notre sujet, il s’est toujours murmuré des histoires dont on ne sut jamais si elles étaient la réalité ou si elles étaient nées de légendes qui courraient sous les grands bois. Je ne prétendrai pas que la nôtre est exempte de fautes ; mais quel peuple sur cette terre si malmenée pourrait se targuer de vouloir nous faire la morale ? Où sont-ils, les hommes qui n’eurent pas à lutter pour obtenir le droit d’exister ? En regardant dans l’immense forêt qui fut toujours notre maison et notre modèle de vie, n’y trouve-t-on pas les meilleures références ? Le jaguar n’use-t-il pas de sa force pour conserver l’exclusivité de son territoire ? Et avec quelles armes autres que ses dents et ses griffes dissuade-t-il ses adversaires d’investir son garde-manger ?

    Certes, dans le passé nous eûmes à défendre les nôtres avec la vigueur des félins, mais pas seulement. Il nous fallut également lutter pied à pied pour sauvegarder nos traditions et le droit de vivre comme nos ancêtres : en toute liberté ; ce grand sentiment qui fleurissait sur chaque branche, embellissant les ramures formant le toit de la forêt, pour qu’elle fût visible par les âmes habitant au ciel, afin qu’elles se rassurent, de n’avoir pas combattu leur vie durant inutilement.  

    Sans aucun doute, sont-ce probablement de pareilles émotions qui animaient les pensées de cette jeune épouse lorsque, regardant son ami au fond des yeux, elle était certaine que même s’il était dissimulé sous des couleurs de terres différentes, il n’en serait pas moins le plus brave, le plus fort guerrier combattant avec des armes inégales comparées à celles des envahisseurs, afin de défendre le seul bien qui leur reste : la forêt. Chez eux depuis des millénaires, aujourd’hui sans cesse ils sont obligés de reculer, sous les assauts incessants des hommes avides d’argent.  

    — Je ne trouve rien d’autre que mon admiration pour te dire combien je suis fière de toi, mon guerrier courageux. Tu es le plus beau représentant de notre tribu. Je ne suis pas sans savoir que certains ricanent derrière ton dos. J’en ai même surpris qui te montraient de leur doigt accusateur, sans se priver d’y rajouter des gestes dédaigneux. Qu’importe leurs avis. Toi, au caractère si fort, tu ne te laisses pas détourner de ton chemin à la simple vue d’un mirage. Qui sont-ils donc, pour avoir déjà oublié les leçons dispensées par nos aînés, alors qu’ils tombent à peine du nid ? Comment ont-ils pu perdre le goût du lait maternel, dans lequel étaient réunis les effluves de la sylve, la vérité de la vie et l’histoire de notre peuple ?  

    Quelques visites en ville ont suffi pour polluer leur esprit et les détourner du layon que les ancêtres avaient tracé à notre attention afin que nous ne nous égarions pas. Alors, les larmes devinant le chemin des yeux, je me demande parfois, comment des hommes en parfaite santé, peuvent-ils bien perdre la mémoire ? Est-il possible d’oublier la saveur si fine du coumarou (poisson des fleuves), la galette de cassave tout juste retirée de la platine et finissant de sécher au soleil, ou celui des parépous (fruits de certains palmiers, encore nommés poupougnes par les Amérindiens du Brésil) ? Mon ami, qu’arrive-t-il à notre peuple qui est à se perdre dans le dédale des ruelles des grandes cités, alors que les pistes de la forêt leur étaient parfaitement connues ? Ils ressemblaient à ces fils qui se tendent dans la vie et qui sont là pour nous servir de guides.

    Il ne nous est pas indispensable d’être instruits plus qu’il est nécessaire pour comprendre que certains des nôtres sont en train de négocier leur âme contre celle du diable. Voilà qu’ils s’abandonnent à la drogue, à l’alcool qui dilue leurs pensées jusqu’au moment où, noyées, elles disparaissent de leur mémoire. J’ai honte ; oui, pardon de vous confier ma grande tristesse au moment où je sais que d’autres peuples, eux aussi, autour du monde, tournent le dos à leurs origines. Je ne suis pas dupe. J’ai parfaitement compris comment certains personnages nous mentent et nous trompent.  

    Soit sans crainte mon bel ami. Je t’aime comme tu es, car tu es mon autre et je te suivrai au bout de la forêt si tu me le demandes. Tu incarnes la vérité, celle qui n’a besoin d’aucun artifice pour exister. Elle est ainsi depuis que le jour fut vainqueur de la nuit, et il nous revient le devoir de la faire vivre et vibrer au-delà de toutes les lunes. Le temps n’appartient à personne pas plus que nous devons être ou devenir les objets d’aucun personnage. Si la liberté ne devait être que la seule chose restante dans ce monde à cultiver, alors il nous revient d’en semer d’immenses parcelles afin que les récoltes se succèdent au long des jours.  

    Entre chaque rang, nous planterons aussi des rameaux de bonheur, afin qu’à maturité, nous puissions le confier à l’alizé qui le distribuera à travers le monde, sans oublier ceux des nôtres qui courent derrière les chimères dont les rires roulent sur la canopée.

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00061340-1

     

     


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