• Intimes confidences

     

    Intimes confidences— Le temps va tourner, s’exclama le patron scrutant le ciel incertain. Il ne va pas falloir traîner en chemin et finir tous les travaux délicats, avant que le déluge nous tombe sur la tête. Le gamin, comme le nommait toujours le fermier, comprenait de quoi il retournait. C’était encore un jour où les pauses seraient courtes et où une tâche pousserait l’autre jusqu’au moment ou le jour lui-même fatigué montrerait des signes de faiblesse.

    Bien sûr, le travail le plus difficile sera réservé à la mule, car il était question de finir de débarder les grumes de chêne qui dormaient en lisière du bois depuis l’hiver dernier. Encore que pour les atteindre, il sera nécessaire de couper les ronces et autres repousses de toutes sortes qui avaient élu domicile à cet endroit précis, comme si elles se nourrissaient de l’infortune des arbres qui de toute façon finiraient dans la cheminée de la ferme.

    Ce jour-là ne fut pas plus douloureux que les autres. Le chantier avançait et les allers et retours s’étaient enchaînés jusqu’à l’heure où le soleil avait rejoint son point culminant.

    Les troncs les plus importants étaient en bonne place au bord du chemin et il restait deux grumes d’un bel orme qui n’avait pas opposé de résistance lorsque la foudre l’avait pourfendu tel un coup d’épée géante. 

    C’est à l’instant précis où la mule, arquée sur ses pattes, produisant un effort presque hors du commun, que l’incident eu lieu.

    Un moyeu du fardier rendit l’âme, comme pour dire qu’il en avait vraiment assez.

    Puisqu’ils étaient deux à travailler, la bête et le jeune se partagèrent les reproches, mais l’un et l’autre en avaient l’habitude.

    Même un homme fort à besoin de plus faibles que lui pour le conforter dans sa prétention ; du moins, c’est ce que l’adolescent avait fini par comprendre en regardant les plus anciens évoluer autour de lui.

    Gardez-moi de devenir comme eux, demandait-il aux cieux. Si nous n’avions pas inventé la justice, sans doute n’aurait-elle jamais enfanté de son contraire qui ruine les espérances des bons !

    Priant sa femme de courir chercher l’appareil photo (l’ancien Kodak à soufflets) le fermier prétendit qu’il lui fallait immortaliser la scène, afin que le monde comprenne ce que deux bons à rien au travail sont capables de faire ; avait-il ajouté, le visage cramoisi. 

    Le garçon alors s’adressa à la vieille mule, calmement, sans élever le ton, comme il l’avait toujours fait. Il avait saisi depuis belle lurette qu’il n’était pas nécessaire de crier pour se faire entendre des animaux.

    — Ma douce, prends ton air le plus avantageux pour la photo. L’idéal serait que tu retrousses les babines comme si tu souriais. Sans doute ne comprendront-ils pas que tu te moques d’eux. Et puis, il est inutile de leur faire plaisir en leur montrant que tu pourrais avoir toi aussi de la peine.

     Soit fière ma toute belle ; c’est la première fois et peut-être la dernière que nous serons réunis ailleurs qu’au travail.

    J’ai quand même un doute. Je me demande lequel d’entre nous ils veulent conserver pour l’éternité.

    Après tout, je mise pour toi, ma vieille compagne. N’es-tu pas là depuis bien plus longtemps que moi ?

    Oh ! Je sais, ce n’est pas pour autant que tu fus mieux considérée. Je peux te révéler un secret qui pourra te soulager ; tu n’as pas eu l’exclusivité des mots qui blessent. J’ai eu ma part, puisque l’on n’a jamais cessé de nous comparer. Tu le vois, on aurait bien pu réunir nos destins !

    Du têtu comme une vieille bourrique, et bien d’autres citations tout aussi vexantes ont le plus souvent embelli mes jours que les rayons du soleil. Mais sans doute ai-je plus de chance que toi, car je les ai entendus dire qu’ils allaient me ramener d’où je viens. Le fils a terminé son armée et il va retrouver sa place dans la maison ; c’est normal.

    Quant à moi, je redeviens l’objet que l’on réclame puis que l’on rejette lorsqu’on n’en a plus besoin. Remarque, au moins vais-je peut-être découvrir un autre horizon. Je ne crois pas qu’ils me confieraient à une famille bourgeoise ; avec mon sale caractère comme ils prétendent, je n’y resterai pas longtemps. À eux, il leur faut des gens plus souples.

    Le jour du départ, je serai triste, mon amie, car dans les environs, je n’avais pas d’autres êtres auxquels j’aurai pu confier mes états d’âme.

    Mais j’y pense, d’après ce que j’avais entendu, toi non plus tu ne connais pas tes origines ? Tu es arrivée par hasard dans cette ferme ! Remarque, je vois bien que cela ne t’a pas empêché de vivre !

    Je ferai donc comme toi. Je prendrai les jours comme ils viendront. De toi, je garderai la douceur dont tu fis preuve à mon égard. Tu avais parfaitement compris mon caractère. Indépendant, comme le tien d’ailleurs ; sans doute les raisons de notre complicité. Je n’oublierai pas ton museau humide cherchant ma main pour les caresses ni l’insistance à renifler mes poches à la découverte de friandises.

    Avec moi, tu ne connus pas le bâton ni le fouet. J’avais compris que chez vous les animaux, c’est comme pour nous. La tendresse est la meilleure conseillère et elle n’est pas le privilège des hommes.

     

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00048010

     

     


  • Commentaires

    1
    Mardi 24 Janvier 2017 à 20:51

    Beaucoup  trop  d’injustices  et  de  mauvais  traitements  envers  les  enfants  et  les  animaux , bouleversent  le  monde  , beaucoup  en  parlent  mais  rien  ne  change  ,pourquoi ? que  faut il faire  pour  que  tous  réalisent .  Je crois  qu'un  jour  les  humains  seront  punit  et  verront  la  fin  de  leur  civilisation .. Bonne  semaine  René .  
    A  bientot ..     

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