• J'ai douté

    J'ai douté


    — Seigneur, ainsi que les autres propriétaires de ce ciel immense qui effraie parfois les hommes ; ce soir, j’ai honte et je vous demande de pardonner mon comportement douteux. Oui, égoïstement j’ai tout abandonné. Sans même me retourner, sans un signe de la main, amis et famille, je les ai tous quittés. Chaque jour davantage j’ai allongé la distance entre le monde qui existait et celui que je cherchais. J’ai traversé des continents. J’ai fui les hommes que j’avais aimés. J’ai tourné le dos aux sociétés et à leurs pièges, leurs tentations et leurs plaisirs. J’avais sans doute l’idée étrange que quelque part, devaient exister le calme, la paix et la liberté.

    J’ai eu l’audace de m’imaginer qu’enfin, sur la Terre, je pouvais être seul. L’air que j’aurai respiré n’aurait été que pour moi, le ciel n’aurait souri qu’à mon regard. Sans doute les fleurs se seraient-elles ouvertes qu’à mon intention, se sublimant pour m’offrir leurs parfums et leurs couleurs.

    Oserai-je vous avouer que pour trouver cette sérénité Seigneur j’ai même essayé de vous oublier ?

    Oui vous ! Vos paraboles ainsi que vos disciples, votre parole et votre histoire ainsi que tous les mystères qui vous entourent et à cause desquels les hommes n’en finissent pas de se pencher et de s’interroger, mais aussi de se battre. Cependant, et pour être tout à fait honnête, il n’y avait pas que cela. Je ne voulais plus entendre les souffrances du monde frapper à ma porte. Elles ont fini par me faire peur, bourdonnantes comme des milliers d’essaims d’abeilles géantes distillant un venin puissant plutôt qu’une gelée royale qui aurait suffi à soulager les douleurs des humains. Oui, je l’avoue, je voulais un coin tranquille dans notre monde de misère. Un endroit où plus personne ne me demanderait son chemin ni ne me confierait ses peines et aussi ses joies. Je ne cherchais pas une immensité, Seigneur, juste un petit territoire sur lequel on ne pouvait entrer que si la paix était en nous.

    Pour y parvenir, j’ai bravé tous les démons de la terre. J’ai traversé les mers, subi les pires tempêtes, de celles qui font douter les hommes de leur capacité à dompter les éléments. Sur la terre, j’ai affronté les déserts qui voulaient m’empêcher de passer, dressant sans cesse d’immenses dunes semblant avancer à mon rythme quand elles ne me dépassaient pas. Je suis si souvent tombé que mes genoux en furent meurtris. J’avais décidé de trouver le bonheur ; ô pas un grand ! Non, un tout petit, celui qui suffit à un cœur pour être heureux. Je le désirais intensément ; trop, sans doute. Alors la punition ne tarda pas à tomber : à la place de la sérénité, je découvris, m’éclaboussant de honte, l’ironie, la désolation et la désespérance.

    Jour après jour, je me fustigeais pour me donner des forces. À mes oreilles résonnaient toujours ces paroles entendues mille fois :

    — Rien n’arrive tout seul dans l’existence que ta main, ta foi, ton espérance et ta force ne l’y invitent.

    Parfois pris d’une grande lassitude, il est vrai, je fermais les yeux avant de reprendre ma route. Dans les encouragements silencieux que je m’adressais, je me souvins soudain que la Terre promise existait bien, d’autres l’ayant trouvée avant moi. Je n’ai fait que chercher la mienne, dis-je en tentant de m’excuser, rien d’autre ! Le temps passait et plus vite il s’enfuyait tandis que mon mal grandissait. J’avais mal au corps et plus encore à l’esprit. J’étais en perdition, de celle dont je pensais que l’on ne se remet jamais. Un matin, soudain, à travers mon délire j’entendis une voix :

    — Tu avais donc oublié que sur Terre on n’a jamais rien fait si l’on ne commence par le chemin de croix avec enserrant la tête sa couronne d’épines ?

    Un matin, alors que l’espoir était sur le point de me faire ses adieux, soudain, au détour d’un chemin, je l’ai découverte.

    Elle me parut immense, plantée devant moi, sans triomphe, au milieu d’un endroit, semblait-il, déserté par les hommes. Elle était belle et sereine, s’élevant au milieu de nulle part. La pointe de son clocher me montrait un endroit du ciel comme s’il voulait me convaincre que tu résidais bien en ce lieu.

    Il n’y avait rien d’autre à mille lieues à la ronde, rien que cette modeste église. Comme j’étais fatigué Seigneur, j’ai poussé la porte de ta maison et j’ai prié. Je t’ai remercié de m’avoir conduit malgré le brouillard de mes larmes qui persistaient dans mes yeux, en un lieu qui, sans nul doute possible, pouvait être le paradis.

    J’ai compris alors que nulle part est bien un mot qui n’existe plus, Seigneur. Ce n’était réellement qu’une invention de mon esprit, car les hommes ne m’avaient pas menti ; tu es partout et sans même me faire un signe, tu m’avais cependant toujours devancé.

     

    Amazone. Solitude


  • Commentaires

    1
    Samedi 18 Juin 2016 à 17:27

     Bonjour  René ...Nous sommes  en  voyage , mais  une  petite  connexion  me  permet .de  retrouver  ton univers  et  de  déposer  quelques  mots  sur  cette  réflexion  profonde   que  j'aime  beaucoup ...Nous  rencontrons  tous sur  notre  chemin , ce doute , il  nous  permet  d'approfondir et  de  réfléchir  a  nos  propres  convictions ..
        Mes  amitiés  chers  amis  lointains ..
    A  bientot  .. 

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