• Jour de prières

    – En ce dimanche, vers toutes les églises, les fidèles convergent, et bientôt des prières s’élèvent vers vous, Seigneur !

    Oh ! Je ne suis pas dupe à ce point, pour croire que toutes ne viennent que du fond du cœur, car il se trouve des personnes chez qui depuis longtemps il est épuisé. Non qu’ils aient trop donné, mais parce qu’on leur a tout pris. Alors, ils sont devenus méfiants, même à votre égard, estimant que vous auriez pu vous manifester à eux, plutôt que de rester silencieux. Cette absence, ils le comparent à de l’indifférence, et vous devrez leur pardonner, car ils sont comme des malades en voie de guérison, mais dont ils savent que la convalescence sera longue.

    De nombreuses suppliques vous sont adressées directement, prenant les accents autoritaires d’un commandement, alors que d’autres iront vers le dieu dont ils imaginent qu’il distribue l’argent et le confort matériel. Des prières avec une certaine ferveur vous demanderont d’intercéder auprès de celui qui donne du travail, d’autres vers celui qui dessine les rêves dans les esprits ! Il en est même qui laissent penser qu’ils vont réserver leur place au paradis. Pardonnez-leur, car personne ne leur avait dit, que du premier jour au dernier jour de notre vie, le ciel se méritait. Voyez-vous, Seigneur, en ces temps où les hommes sont submergés par le doute, ils en viennent à se tourner vers tous les Dieux que les communautés se partagent et ne soyez pas étonné si certains vous réclament des choses qui ne sont pas écrites dans vos carnets. Les sociétés ont tellement évolué qu’ils sont surpris que vous n’en ayez pas fait autant. Entre vous et eux, les distances ont grandi et les hommes ont le sentiment d’avoir pris plusieurs longueurs sur vous. De grâce, ne les laissez pas s’enfuir et rapprochez-vous d’eux !

    – Me concernant, souvenez-vous ; il y a bien longtemps, c’est vrai, dans une colère toute juvénile, ne vous avais-je pas dit que vos églises se dépeuplaient ?

    À cette époque, nous jugions vos demeures aussi froides que le cœur des fidèles et devenues grises, la couleur de leurs espérances. Constatant qu’il n’y avait plus de différence, entre votre maison et chez eux, ils désertèrent. Les ors et les argents, qui ornaient les cathédrales, avaient disparu. Le mystère de la Rédemption n’existait plus, le latin, qui entretenait le flou, avait même été supprimé. Les accents liturgiques vinrent à manquer à ces gens rustres, qui ne levaient la tête du sillon que pour vous implorer ; non pas pour eux, mais pour veiller sur la terre afin qu’elle engendre toujours de belles récoltes dans l’espoir d’éloigner les famines.

    Le jour arriva où moi aussi je dus prendre mon bâton de pèlerin. Je suis parti de par le monde, au hasard des chemins et des croyances. J’imaginais que forcément quelqu’un devait encore avoir une foi immense sans pour autant être l’un de vos apôtres. Certes, je dus parcourir une longue route, mais un matin, je l’ai trouvé. Je ne me heurtais pas directement à lui, mais à son œuvre. L’homme s’en était allé depuis des années, et nul ne sût s’il avait rejoint celui à qui il avait destiné ses dernières prières.

    Je supposais que cet homme ne connaissait pas tous les mots pour s’adresser à vous, alors il vous offrit ses talents d’artiste. Ce qu’il avait de meilleur en lui, il le traduisit et le mit à votre service. Grâce à lui, soudain, votre demeure renaît, elle sourit à nouveau. Ironie du destin ; cet homme était un bagnard. Fallait-il qu’il vous aimât pour apporter autant de lumière et de couleurs en votre maison !

    Et savez-vous, Seigneur, un jour que je méditais en ce sanctuaire, j’y ai même rencontré des non-croyants qui devant une telle œuvre se sont agenouillés en s’exclamant :

    – « Ô Mon Dieu » !

    Le bagnard du nom de Huguet avait été condamné pour faux et usage de faux, et c’est en l’église d’Iracoubo en Guyane française qu’il réalisa le chef-d’œuvre qui fait qu’en cette église les prières n’ont jamais cessé de clamer votre grandeur.

    Maintenant, elle est inscrite aux monuments historiques, et en son chœur les chants s’élèvent toujours plus haut, plus forts et plus sincères.

    (Peinture achevée : le 06 Janvier1893) 

     

    Amazone. Solitude Copyright n0 00048010-1 


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :