• L'allée de l'éternité

     

    L'allée de l'éternité— Le voyage fut sans contestation possible le plus beau de tous ceux que nous avions effectués jusqu’à lors. Comment ne l’eut-il pas été, quand le vent gonfla les voiles et que notre embarcation, qui n’attendait qu’un geste, un ordre de son capitaine, cingla vers les îles du sud ? On devinait qu’un rendez-vous les attendait, car l’embarcation ne se contenta pas d’épouser les flots, mais vola au-dessus, poussée par un vent complice.

    Personne ne nous avait menti. Elles furent les plus belles, annonçant leur présence longtemps avant de se laisser apercevoir, en dispersant dans l’alizé, à notre intention, des parfums sucrés et ensoleillés. Nul ne sut pourquoi nous avions choisi celle-ci, pour y déposer notre jeune bonheur. L’amour est ainsi fait qu’il dicte aux hommes ses exigences, en leur laissant croire que ce sont eux qui prennent les décisions.

    Il nous fallut attendre la marée de l’aube pour amener le bateau jusque sur le sable. Il était encore humide et frais de la nuit, parfaitement lissé par la dernière vague. Fallait-il y voir un signe du destin désirant que nos pieds touchent le sol comme si nous arrivions dans une seconde vie qu’il voulut la plus douce possible ?

    Avançant prudemment, nous nous rapprochâmes de la végétation qui s’élevait en suivant les courbes du terrain. C’est alors que nous vîmes une allée, nous invitant à la suivre sous le couvert des palmiers et autres cocotiers. Elle commençait au pied des premiers arbres et les palmes se surpassaient pour nous faire entendre leur musique, celle qui par la suite berça notre amour tout au long des jours et des ans qui suivirent cette aurore magique.

    Nous ne rêvions pas ; nous étions dans le rêve. Nos pas, légers et peu pressés, allaient à la reconnaissance des roches déposées par d’autres gens qui avaient dû, eux aussi, mettre leur amour en sécurité sur cette île, comme les pirates le faisaient de leur trésor. Parfois, une pierre disjointe nous obligeait à nous rapprocher jusqu’à nous enlacer en riant. La nature n’en perdait pas un instant. Sans doute, le rapportait-elle aux végétaux trop loin plantés pour suivre les nouveaux arrivants.

    Chaque feuille, chaque fleur soupiraient de tendresse, en nous regardant échanger à pleines lèvres gourmandes des baisers qui ne voulaient jamais cesser. Reprenant notre chemin sous un ciel clément, nous étions comme des enfants découvrant le pays des fées et des lutins. Nous étions certains que notre amour avait trouvé sa voie et que sous le ciel bleu, jamais il ne pourrait prendre fin.

    Nous savions que notre vie ressemblerait à cette allée, belle et ombragée, s’élevant chaque jour de quelques pas et de beaucoup d’amour. Des jours heureux, il est vrai qu’il y en eut beaucoup, autant que de pavés existants et de ceux que nous dûmes rajouter pour que notre route ne cesse de s’élever. Ils nous invitaient à nous serrer l’un contre l’autre, dès le matin sortant de l’océan, jusqu’au soir où le jour se réfugiait sous la verdure pour s’endormir du sommeil du juste.

    La voûte que s’appliquaient à construire les palmiers gardait nos mots et nos sourires prisonniers, afin que Dame nature y trouve aussi son compte, car il est bien connu, que l’amour rend plus beau chaque élément sur lequel il se pose.

    Les oiseaux accompagnèrent tous nos jours, avec sans doute une pointe de jalousie, car certains chants nous font comprendre qu’ils se désolent de n’avoir pas le cœur plus gros pour y renfermer davantage d’amour. Oui, ce bel amour qui retient nos cœurs enchaînés comme la mousse enserre la pierre depuis des années, pour adoucir nos pas vieillissants, accompagnant notre montée vers l’éternité.

    Nos regards plongés dans celui de l’autre, nous n’avons jamais vu arriver le crépuscule de notre vie. Ne vivant que pour notre bonheur, nous pensions que chaque jour retenait l’automne de notre amour attaché au premier arbre de l’allée et qu’il finirait par nous oublier.

    Mais voilà que j’aperçois là-bas la dernière rangée de pavés dessinant le bonheur de notre allée. Déjà, sur eux je vois les nuages les frôler avant de s’y poser. Je sais que bientôt, ma belle, nous devrons desserrer nos mains pour que l’un de nous parte à la recherche d’une nouvelle île qui nous accueillera sur une pareille allée, où nous serons heureux et où nous dirons aux anges rencontrés que sur Terre il existe bien un chemin qui conduit à l’éternel.

    C’est une allée bordée de plantes dans lesquelles la vie y dissimule ses secrets, accompagnant les amoureux dont les pas ne vont jamais plus vite que les battements des cœurs.

     

     

    Amazone. Solitude    


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :