• L'allée de Mahazoarivo 2/3

    L'allée de Mahazoarivo 2/3

    — D’abord, plantons le décor. Nous étions obligés de laisser nos véhicules à un kilomètre du lieu d’exploitation, la piste n’étant alors qu’un modeste layon. Vous l’aurez deviné, à mon épouse et moi, il nous revint donc de transporter nos matériels à dos d’homme ou au moyen d’un brancard fabriqué pour l’occasion. Les premiers jours, il nous fallut reconnaître et baliser la parcelle et enfin établir un campement de passage. Je vous le confirme, nous étions les seuls habités par la folie. Je sais, elle n’était pas nécessaire, mais je puis vous certifier que cela aide bien quand même.

    Devant nous, derrière et à droite comme à gauche, la forêt. Parfois, nous avions le sentiment de n’être que des fourmis parmi toutes les autres occupant  déjà les lieux. Mais il en fallait davantage pour nous effrayer ! Les limites trouvées et balisées, il fallut bien me mesurer à celle qui avait promis de m’en faire voir de toutes les couleurs ! D’abord, ce fut le coupe-coupe. Des jours entiers à sabrer, faires des andains en vue de les brûler. De l’avis de la famille, le chantier prenait une belle allure ; tandis que debout, nous toisant du haut de leurs têtes, les arbres semblaient nous dire :

    L'allée de Mahazoarivo 2/3

     

    — Nous t’attendons de pied ferme, l’ami !

    — Mais, penché au-dessus du sol, je n’avais guère le loisir d’admirer les houppiers. Plusieurs mois furent nécessaires pour aérer le sous-bois sur les deux premiers hectares. Sans végétation, la sylve prit une autre allure. Il ne restait que des troncs de toutes les circonférences, et je vous prie de croire qu’ils étaient des centaines et même des milliers, droits comme des crayons, frémissant dans l’attente d’être mordus par les dents de la chaîne de la machine.

    Afin de me rappeler que je n’étais pas chez moi, sans doute, la nature me lança un premier avertissement. En effet, le premier arbre coupé ne s’abattit pas ! Il resta pendu dans les houppiers de ses voisins. Bien sûr, que j’avais coupé les lianes qui s’opposaient à la machette, mais loin au-dessus de moi, depuis des lustres elles avaient tissé des liens si puissants, qu’ils semblaient maintenir toute l’Amazonie dans le labyrinthe de leur enchevêtrement !

    L'allée de Mahazoarivo 2/3

    La forêt me défiait ? Eh bien ! J’accepte le défi ! Je commence par débiter ce que je peux de la bille de pied pour l’alléger et alors qu’il était toujours suspendu, j’estimais combien d’autres j’allais devoir abattre à la façon domino, afin qu’ils entraînent dans leurs chutes mon malheureux pendu. Six furent nécessaires pour voir la première trouée après qu’ils se furent effondrés.

    C’est alors que Josette me dit :

    — Toi qui voulais faire en sorte de débiter les arbres à mesure qu’ils seraient abattus, je crois que tu vas devoir changer ton fusil d’épaule, tu ne penses pas ?

    — Hélas, c’est bien cela qui m’attend, répondis-je !

    C’est ainsi que je dus réapprendre ce que je m’étais imaginé savoir déjà, mais plus encore, en devinant qu’à partir de cet instant, c’est une autre vie qui s’offrait à moi, dont j’allais chaque jour découvrir l’une de ses plus belles feuilles. Et des pages, il y en eut, non pas quelques une, mais des centaines et des centaines ! Certaines apportèrent leurs lots de souffrances, tandis que d’autres déposaient sous mon carbet des douceurs et des sourires. Jusqu’à ce fameux jour de juillet.

    Depuis le matin, j’abattais. Il y avait longtemps que mon chemin de repli avait disparu sous la montagne de bois, gisant en tous sens, de sorte que pour progresser dans ce fouillis végétal, je devais escalader les troncs ou ramper sous les grosses charpentières pour me rendre d’un pied à un autre. L’après-midi avançait alors que la pluie n’avait jamais cessé. Eau du ciel ou transpiration, de toute façon, les bottes devaient être vidées régulièrement. Avant d’entreprendre l’arbre suivant, j’observais longuement ceux qui semblaient faire barrage à mes décisions. Estimant que je pouvais finir la journée en provoquant un fracas du diable, j’entamais plusieurs troncs énormes et après avoir tranché les contreforts d’un fromager majestueux, j’entrepris l’entaille de direction. Une fois réalisée je passais à la coupe non sans surveiller le moindre frémissement. (À suivre)

     

     

     

     


  • Commentaires

    1
    Jeudi 17 Mars 2016 à 10:52

    BONJOUR RENE !

    Après avoir lu les deux premières pages, je constate que c'est un boulot de romain !

    Ce qui me gêne dans se déploiement de force, ce sont les risques de chute d'arbre, de serpents venimeux voir des grenouilles ou des scolopendres (ou que sais-je !) !......Brrrrrr !

    Finalement, je ne t'envie pas !.....Sauf peut-être pour l'isolement, je suis ochlohobe !

    Pour moi, j'imaginerais plutôt une oasis au milieu du Sahara, mais par les temps qui courent (et AQMI) je préfère ma Rémartinière en Vendée !

    Salut Mon Ami René et bisous à Josette !

      • Jeudi 17 Mars 2016 à 12:30

        Bonjour, mon cher Rémy

        Comme je te comprends quand tu prétends ne pas vouloir t'évader vers quelques oasis !Cependant, il fut un temps où j'y ai traîné mes guêtres et ce temps là m'a confirmé ce que je savais depuis toujours. Hormis le poète et l'enfant du pays (qui sont souvent les mêmes), personne d'autre ne peut véritablement prétendre s'installer à demeure dans ces régions désertiques. Personnellement, parmi les grands espaces, j'ai préféré la forêt. Celle au milieu de laquelle nous vivons nous a séduite, car en son milieu, nous avons dû tout réinventer, depuis notre propre existence en passant par tous les stratagèmes. Nous ne pouvons rendre personne responsables de nos actes. Les dangers ? Certes, ils furent nombreux ! Mais pas plus qu'en France où des milliers de gens ont abandonné leur vie au bord des routes. Je crois que l'existence est elle-même un danger et il nous plaît cependant de la traverser en y apportant quelques aménagements. Des animaux auxquels tu fais allusion, tu as oublié les plus nombreux ; les guêpes de toutes les variétés, depuis la mouche à feu en passant par les abeilles et les "sans raison" et bien d'autres encore. Mais elles font partie du décor... Bref, tu l'auras compris, nous sommes parfaitement heureux de notre condition, à telle enseigne, que nos enfants qui n'ont jamais quitté le pays autre que pour des vacances ou des raisons professionnelles, reprennent notre flambeau qui menaçait de s'éteindre. Du troupeau, nous avons refusé d'en être des moutons; mais la place de berger ne nous a pas séduits non plus et celle du loup ne nous a pas attirés. Tu vas rire, toi l'ochohobe. Je reste des mois sans aller en ville et là, cela fait un ana que je ne suis pas allé à Cayenne ! Allez, belle journée Rémy. Amicales pensées.

      • Jeudi 17 Mars 2016 à 13:08

        Cà ne me dérange pas de ne rencontrer personne !

        Martine et moi passant pour des "ours" bien que les ours soient plus sociables que nous !


        SOLITUDE

         

        Pourquoi entendre silence dans solitude,

        La mélodie des sources ou le son des torrents,

        Le chant des oiseaux ou  le chuchotement du vent

        Tous ces ramages remplissent notre nature.

         

        Pourquoi des absences seraient des isolements,

        Notre seule présence est riche de souvenirs,

        Nos pensées sont suffisamment prodigues,

        Toutes ces acuités meublent nos isolements.

         

        Pourquoi ne voir la vie que chez nos semblables

        Penser les thébaïdes sans âme fréquentable,

        Plantes et animaux  accompagnaient nos ermites.

         

        Pourquoi associer  le désert à un exil,

        Même les sables des dunes ont leurs harmonies

        La solitude, il n'y a rien de plus docile.


        Ymer TNEGER

         Ymer TNEGER, c'est mon nom à l'envers !

    2
    Jeudi 17 Mars 2016 à 11:01

      

    Bonjour René, je vois en regardant et en lisant ton article le mal que tu as eu à couper ces arbres afin d'avoir une route d'accès... Quel courage et quelle ténacité..

    Bon jeudi, gros bisous

    3
    Jeudi 17 Mars 2016 à 16:23

                   Bonjour  René  ami  lointain .. 
          Un travail  d’hercule  que  tu  nous  racontes si  bien   sur  cette  page  .  Il  me  fait  penser  au  chemin  que  nous  empruntons  tous  au  matin  de  la  vie ..
      Nous  partons  bien  armés  d' illusions  , pour  apprendre  très  vite  et  de  force  a  surmonter  les  obstacles  ..Comme  toi  dans  ta  belle  foret , nous  traçons  notre  chemin pour  arriver le  mieux  possible    vers  le  dernier  tournant  ou  la  lumière  nous  attend ..
    Bon  Week-end  ami  lointain  ..  
    Amitié  des  US  a  partager  avec  ton  épouse ..
    Nicole ..   

    4
    Jeudi 17 Mars 2016 à 20:19

    Bonjour, amie par delà la mer océane,

    "Travail d'hercule" ? Je serai plus modeste, ma chère Nicole. Je n'ai fait que mon travail, comme celui qui marche vers Saint Jacques. Le chemin n'est pas sans obstacles, mais quand on sait écouter le souffle de la vie, on parvient à surmonter les péripéties. Apprendre "très vite" dis-tu, ce fut le cas de nombreuses personnes de notre génération, à qui on ne fit pas d'autres propositions que celles de regarder et d'écouter pour savoir enchaîner les gestes qui font que chaque pierres à sa place dans le mur de la maison que nous construisons, comme chaque heure à la sienne au long du jour. Pour ma part, l'enseignement fut rude et l'existence avec la complicité des hommes ont fait de moi un homme avant d'être un enfant. Qu'importe, je ne leur en aie jamais tenu rigueur. Après tout, ce n'est pas la manière d'arriver dans la vie qui est importante, mais bien de comprendre qu'elle nous offre qu'une seule alternative: lui sourire et la suivre comme on le fait des saisons. Il y a celle qui est oublieuse et qui parfois nous glace le sang, mais en secret elle prépare le printemps, qui nous offre ses fleurs et ses chants d'oiseaux. Puis l'été s'installe à notre fenêtre déposant sur son rebord les sourires et les fragrances, avant que l'automne avec ses feux d'artifices nous ramène terre, nous conseillant de rentrer le bois pour la cheminée, dans laquelle il se consumera en nous disant qu'un matin, il eut la douceur de recevoir sur ses branches des oisillons sortant du nid.

    Bon, tu le vois, moi aussi, je ne sais faire que rêver ! Et sais-tu ? Je ne me soigne même pas ! C'est si bon d'avoir la tête dans les étoiles !

    A très bientôt, ma chère Nicole. Je vous assure de ma sincère amitié et de ma joie de vous avoir retrouvés. Tant que nous ne sommes pas parvenus au bout du chemin, nous sommes assurés de retrouver ceux que nous avons apprécies et aimés sur d'autres sentiers.

    5
    Vendredi 18 Mars 2016 à 08:36

    Pour vous les rêveurs !

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