• L'amour destructeur

    — Souvent, on s’extasie devant la masse imposante des forêts. On aime en retenir la générosité des arbres, la diversité des végétaux constituant les couverts boisés et le port grandiose de certains sujets. Chaque jour, nous saluons avec empressement les bienfaits sans cesse offerts et variés avec, pour emballages, des centaines de parfums différents. Cependant, impressionnés par ces cathédrales vertes, on ne retient bien souvent que leur masse majestueuse qui nous distribue chaque jour des faveurs sans cesse renouvelées. Devant tant de merveilles, qui se soucient des souffrances et des tortures que chaque individu subit pour avoir le droit de vivre et parfois même de survivre ? Que sait-on des drames qui se jouent dans l’intimité sombre de la forêt ?

    Quand je contemple notre Amazonie, il est vrai qu’elle m’apparaît puissante, s’offrant à mon regard sans aucune retenue, semblant me dire qu’elle ne saurait garder pour elle tous ses secrets. Si on lui accorde un peu d’attention, elle imagine des trésors plus merveilleux les uns que les autres pour nous séduire afin qu’à notre tour nous puissions la conquérir. Mais prudence ! Elle reconnaît l’individu irrespectueux, en lui faisant comprendre qu’en son sein, il ne saurait trouver le repos, ni aujourd’hui, pas davantage demain, et cela, jusqu’à la fin de la vie de l’intrus. À son écoute, on devine qu’elle traverse le temps sans jamais prendre celui de souffler. Pas un instant n’est ignoré. Chacun est vécu comme s’il était le dernier et tous sont différents les uns des autres. Cependant, dans sa solitude bien amazonienne et son apparente vigueur elle demeure d’une extrême fragilité.

    Pour résister aux agressions de toutes sortes, les arbres imbriquent leurs branches et leurs cimes dans le houppier de leurs voisins comme s’ils se tenaient par le bras pour être plus forts et solidaires. Ils savent la violence omniprésente. Ils la devinent cachée derrière chaque tronc, masqué dans le cœur de plantes que l’on croirait de prime abord inoffensives, alors que certaines apportent la mort. Sous cette probable robustesse, aucun moment de sa vie n’est épargné. Les attaques fusent de tous côtés. On les penserait enfouies dans la terre, ils viennent du ciel quand la foudre s’abat avec une telle violence qu’elle fend les plus puissants. Parfois, elles prennent l’allure d’innocentes petites plantes qui empoignent les plus hautes branches. Ce sont des lianes qui lancent depuis la ramure la première radicelle en direction du sol. Dans le tapis moelleux d’humus, elles développent des racines puis remontent rapidement vers les sommets. Pour s’aider, elles enlacent amoureusement leurs hôtes dans un bel élan de fraternité, croirait-on. En réalité, c’est une longue agonie qui commence. Pour s’assurer de prospérer, la liane épuise l’arbre qu’elle enserre en le vidant de sa substance. Pressée et orgueilleuse, elle n’aura aucun regard pour celui qu’elle conduit à la mort. Mais l’adage qui nous rappelle que « tous biens mal acquis ne profitent jamais » nous éclaire une fois de plus par sa vérité. Privée de son allié et de nourriture, à son tour la liane va connaître les tourments de la souffrance, elle va mourir dans la plus grande indifférence. Une nuit, elle et son support vont s’effondrer dans des craquements à n’en plus finir, entraînant à leurs suites des dizaines d’arbres innocents.

    Le sol les digérera rapidement et fera naître sur les cadavres des milliers d’autres végétaux. Une bataille gigantesque s’engage, car la place au soleil est chère. Tandis que les insectes en tous genres aidés dans leur tâche par les champignons qui les digéreront, les bois morts, d’autres végétaux profiteront de la trouée pour s’élancer vers le ciel qui ne doit jamais deviner ce qui se trame sous la forêt de nos régions.

    Ainsi, vit-elle dans l’insécurité permanente. Nous pourrions en conclure qu’ici-bas, la mort est nécessaire pour que, sur elle, s’épanouissent de nouvelles fleurs, qui donneront naissance à une existence plus forte et parfumée.

     Amazone. Solitude. Copyright n° 00048010-1

     

     

     


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