• L'arbre de la sagesse

    L'arbre de la sagesse

    — La vie est ainsi faite, que lorsque l’on se donne la peine d’observer avec attention le monde qui nous entoure, on y découvre des trésors que personne n’avait remarqués auparavant. Il suffit d’un regard pour que naisse immédiatement une histoire empreinte d’humanité et de sagesse, un conte dans lequel se mêlent l’homme et le temps, ainsi que les choses de la vie avec leur cortège de sentiments.

    Ainsi, découvrant la scène des hommes se reposant sous un arbre, j’ai laissé vagabonder mon imagination et sans attendre un instant de plus, j’ai tenu à me rapprocher d’eux pour écouter leur conversation. Non par pur esprit de curiosité, mais parce que j’aime les relations s’établissant entre le végétal et l’homme lorsqu’ils ont admis une fois pour toutes qu’ils étaient devenus inséparables, parce que proches parents.

    C’est alors que je compris que lorsqu’une histoire nous touche au plus près de notre cœur, elle n’en est plus une. Elle se transforme en une amie fidèle, presque une parente qui marcherait à votre rencontre. Je m’arrêtais à peu de distance des personnages et prêtais une oreille attentive aux échanges qui allaient bon train.

    Un homme d’âge raisonnable disait à un plus jeune qui buvait ses paroles :

    — Tu vois, mon fils, cet arbre généreux qui nous offre le réconfort ; c’est moi qui l’ai planté. Je devais avoir ton âge.

    En compagnie de mon père, nous gardions le troupeau qui allait d’une touffe herbeuse à une autre à travers la savane. La saison sèche était à son apogée, faisant se raréfier les pâtures et chuter les feuilles des grands acacias. Pour me rafraîchir, je sortis une mangue de ma poche, puis, la pulpe terminée, je jetais le noyau loin devant nous. Mon père me gronda et me pria d’aller le ramasser au plus vite. Il m’expliqua que s’il avait été un bon fruit, il méritait que l’on s’en souvienne. Pour le remercier, tu dois semer sa graine, elle ne sera pas ingrate en devenant un jour un bel arbre donnant des fruits parfumés et savoureux.

    De retour au village, je fis un mélange de terre et d’herbe sèche et disposa le mélange dans une demi-calebasse dont personne n’avait l’utilisation. En son centre, j’y déposai le noyau et je le couvris de son épaisseur de terre. Chaque jour, je venais l’arroser, jusqu’au matin où je vis une tige fine s’élevait au-dessus de la surface craquelée.

    J’étais émerveillé. J’assistais pour la première fois à la naissance d’un arbre. À l’extrémité de la tige, deux petites feuilles brunes, presque rouges, semblaient applaudir à la lumière. Il grandit en s’assurant chaque jour davantage. En quelque endroit où je me trouvais, il me tardait de rentrer au village pour voir mon manguier grandir. Sans doute le comprit-il, car d’une pousse modeste il devint rapidement un bel arbuste.

    Mon père ne disait presque rien. Mais dans son silence, je devinais que tout comme moi il suivait l’évolution de ma plantation et c’est à cette occasion que je découvris ce que d’autres appelaient de la fierté. Alors que la saison des pluies approchait faisant frémir les nuages d’impatience, tandis que nous partions vers les plantations, ce matin-là, mon père me dit de ne pas laisser mon arbre tout seul.

    — Il est assez grand pour connaître les grands espaces, me dit-il. Prends la nouvelle houe que j’ai fabriquée pour toi. Elle devra toujours te suivre et c’est elle qui aura le privilège d’ouvrir le trou de ta première plantation.

    — Sur ses conseils, je plantais mon arbre non loin d’un autre afin qu’il ne soit pas isolé, afin qu’entre eux se tissent des liens d’amitié. Le père m’expliqua encore que lorsqu’ils fleuriront, les abeilles iront de l’un à l’autre, mélangeant les pollens pour améliorer la qualité des fruits. Mais si tu veux qu’il soit heureux, chaque fois que tu lui rendras visite, tu partageras avec lui ta ration d’eau. Il te la rendra au centuple.

    Le temps passa. Mon manguier s’élevait, pressé, semblait-il, de devenir adulte. Mon père me dit alors de tailler ici, de pincer là, car un arbre est comme un enfant ! C’est lorsqu’il est jeune qu’il faut lui donner une forme qu’il conservera toute sa vie. J’avais bien mal au cœur de le mutiler, mais je dus admettre que cela lui faisait du bien, car il grandissait bien, ajoutant de nouvelles branches et de nouveaux rameaux aux fourches déjà en place.

    En fait, avec mon manguier, nous nous élevions au même rythme, comme des frères partageant une même destinée. Mon père me disait souvent d’écouter la vie qui circule en lui.

    — Il n’y a que chez les sujets heureux que l’on puisse entendre la musique du bonheur, auquel celle du vent vient mêler la sienne à travers la ramure, me dit-il.

    C’est à ce stade de la narration, que le père se tournant vers l’enfant lui dit :

    — Ceci est mon histoire, mais demain elle peut être tienne si à ton tour, tu prends la peine de planter d’autres arbres qui deviendront tes arbres dont il te reviendra de les élever comme s’ils étaient de nouveaux membres de ta famille. Nous ne devons jamais oublier ce que disaient nos ancêtres lorsqu’ils parlaient d’eux :

    — Jeune, tu plantes un arbre, vieux, tu te reposes sous son ombre. 

     

     

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