• L'auberge du bout du monde 3/3

    — Parmi les incertitudes de la vie, il en est une qui accompagne chaque jour les aventuriers, les surprenant derrière chaque détour de layon. L’accident ou la maladie. C’est alors que l’auberge ne désemplissait pas que les premiers symptômes s’annoncèrent sur la montagne.

    Ce fut d’abord la maîtresse de maison, mais elle sut être plus forte que le malin qui la tourmentait. Oh ! Il ne fut pas facile de mettre dehors celui qui insistait pour s’installer et les séjours à l’hôpital furent nombreux. Mais on n’est pas hargneux pour rien quand on réside en forêt. La lutte est quotidienne. Pas seulement contre les éléments, mais le plus souvent contre soi-même lorsque l’envie de baisser les bras frappe à votre porte. Comme tout un chacun, il nous arrive de trébucher, parfois, même de chuter. Mais toujours, on se relève et c’est encore plus fort que l’on continue le chemin. Bien qu’elle ne fût pas guérie, Josiane reprit son poste entre deux séjours en clinique. Ensuite, ce fut le temps qui se mêla à la partie qui se déroulait sur la montagne. En haut lieu, on décida que de piste, il fallait la transformer en véritable route. Elle ne fut jamais une nationale, toujours aussi étroite et dangereuse, mais elle eut l’avantage de diviser le temps du voyage, à défaut de réduire les kilomètres. Elle conduit jusqu’aux célèbres marais de Kaw, une réserve exceptionnelle. Les polémiques furent nombreuses concernant sa mise en place. Un journaliste venu de la lointaine métropole écrivit même « qu’elle était une route qui ne menait nulle part ».

    Il n’avait donc rien vu, rien compris, ni entendu pour dire de telles bêtises.

    Toutefois, la belle voie ne permit pas à la fée électricité d’arriver jusqu’au plateau. Elle reste toujours bloquée à une trentaine de kilomètres. Mais quand le changement se met en marche, il est rare que les nouveautés ne le suivent pas. Ainsi le solaire s’installa-t-il sur la montagne, ce qui eut pour effet de soulager les groupes électrogènes.

    Mais un souci barrait la route à l’horizon. L’auberge est construite sur une belle réserve d’or ! Les compagnies se disputent son exploitation, mais fort heureusement jusqu’à présent sans succès. Cependant, durant des années les forages allèrent bon train afin d’évaluer ce que ce coffre immense refermait comme trésors. C’est alors que l’on pensait les galères loin derrière l’auberge, que d’autres ennuis s’annoncèrent. Ce fut au tour de Michel d’être la victime de la maladie. Son état nécessitant son rapatriement sur la métropole, les enfants devinrent plus vite des adultes que ceux de leur âge. Les parents absents, elles menèrent la barque à bon port, sans jamais montrer la moindre faiblesse.

    Le père resta longtemps en France, mais la mère retourna sur la montagne et l’existence poursuivit son cours. Michel revint et les travaux reprirent, comme si construire sans cesse était le moteur indispensable à la vie, qui, en remerciement, accorde plus de temps à ceux qui la mettent en valeur.  

    D’un côté, les forages allaient bon train, et la clientèle de l’auberge était en constante augmentation. Il y avait quelques fois des appels à l’aide. Alors, toutes affaires cessantes, nous montions donner le coup de main.

    Je vous l’ai dit. L’exploitation de l’or n’a à ce jour toujours pas débuté et sans doute ne commencera pas avant plusieurs décennies, tant que les certitudes de non-pollutions en tous genres n’auront pas été démontrées. Il s’agit là de construire une véritable usine qui assurerait en même temps une entreprise rentable sans pour autant apporter moult nuisances à l’environnement. Sur la crête, les conséquences ne furent pas longues à se faire ressentir. Plus de permis d’exploiter, la clientèle se fit plus rare.  

    Si l’or reste prisonnier de la montagne, un foreur emporta quand même au Canada une belle pépite ; la fille aînée ! La seconde imita le saumon. Elle remonta le courant jusqu’à son lieu d’origine. La troisième hésita entre reprendre l’affaire ou devenir générale. J’en conviens, l’armée trouva en elle l’un de ses meilleurs éléments.  

    Et l’auberge, me demanderez-vous ? Elle est encore là ; plus belle que jamais, vous répondrai-je ! Le temps s’est écoulé et les passages par l’hôpital furent nombreux. Mais pour notre plus grand plaisir, l’un et l’autre sont toujours fidèles au poste, même si la fatigue s’est définitivement installée sur le seuil de l’auberge. Je crois qu’on le serait à moins ; et s’il arrive aujourd’hui que certains émettent quelques critiques, c’est qu’ils ont traversé la vie en empruntant les routes les plus douces à leurs pas, prenant soin d’éviter les chemins de campagne. Cependant, c’est en allant par les monts, les creux, les collines qui se chevauchent en se succédant, traversant les marécages et les fleuves sur des bacs parfois de fortune, que l’on découvre les plus saines graines de la vie, qui ne demandent qu’un cœur aimant pour s’y développer. Ces cœurs, nous les avons trouvés il y a longtemps et entre nous, l’amitié ne s’est jamais démentie ni même affaiblie.

    Qu’elle fût belle cette époque qui voyait toutes les tables remplies de victuailles qui se laissaient dévorer autant par les yeux que par les dents. C’était l’instant où, dans l’auberge, il n’y avait pas d’un côté des clients, des amis et de l’autre, des propriétaires. Il y avait une seule et même grande famille à laquelle s’associait le temps, manifestant sa joie en frappant les tôles de ses énormes gouttes de pluie d’une averse tropicale. En cuisine, Josiane ne s’affolait pas. Les plats allaient et venaient, laissant derrière eux des parfums que la nature jalousait parfois.

    Il était facile d’imaginer le caractère de nos amis. Il n’y avait qu’à observer leur environnement pour comprendre qu’il n’était pas que les hommes qu’ils affectionnaient. Les animaux ont toujours eu leur place, non pas comme prisonniers, mais comme des compagnons. Qu’ils soient des cochons sauvages, des pakira, des aras, des oiseaux coq de roche ou chiens de toutes races, tous avait leur place parmi nous et il ne serait venu à l’idée de personne de les repousser quand ils mendiaient une friandise dont ils n’avaient même pas une faim véritable.

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00061340-1

     

    Demain, si vous le désirez, vous prendrez connaissance de l’épilogue  

     

     

     

     


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