• L'auberge du bout du monde Epilogue

    — Chaque fois que nous montions à la rencontre de nos amis, j’avais une pensée pour les auberges de campagnes de métropole, qui nous offraient leur accueil douillet. C’est alors que je comprenais qu’il existait bien au sein de notre planète, des mondes différents. Sans nul doute, il faut être vraiment très fort pour supporter certaines conditions et ne pas être tenté de s’enfuir en prenant soin de ne pas se retourner afin de ne pas verser quelques larmes sur ce dont on pourrait croire que l’on abandonne après l’avoir conçu. Sans doute est-ce cette situation particulière qui met dans les cœurs des uns et des autres de nos amis un tel acharnement à vivre. La proximité de la forêt dans laquelle se joue à chaque instant un nouveau drame pour obtenir le droit à l’existence n’est pas étrangère à l’élaboration des caractères. Oserons-nous prétendre que cela relève du mimétisme ?

    Ne rien céder, ne jamais s’apitoyer sur soi-même pour ne pas permettre à la faiblesse de s’installer. Voilà le credo des gens de la brousse, qui, lorsqu’ils vous aperçoivent débouchant sur le plateau, ont le sourire qui fait oublier leurs souffrances endurées durant de longues années. C’est pour cela qu’ils méritent le respect, non seulement pour ce qu’ils sont aujourd’hui, mais pour ce qu’ils furent pour permettre à des milliers de gens de découvrir la nature dans toute sa grandeur. Car l’un et l’autre des aubergistes n’avaient pas leur pareil pour expliquer et démontrer leur environnement. Tant de merveilleuses histoires ils ont vécu, qu’ils n’avaient même pas besoin d’ajouter un mot à un récit, c’est l’auditoire qui le faisait pour eux.

    En fait, j’ai toujours eu le sentiment que l’aventure, ils ne l’avaient pas croisé en arrivant dans le pays, mais qu’ils étaient tombés dans l’une d’elles un beau matin, et que depuis ils ne l’avaient jamais abandonnée. Chaque pas ne les éloignait pas de leur destin d’aventurier, mais au contraire faisait naître une nouvelle histoire dans la poussière de la piste sous le soleil de l’été.

    D’aucuns me reprocheront d’écrire comme s’ils étaient absents.  

    Rassurez-vous, il n’en est rien. Comme nous tous qui avançons dans la vie, eux aussi ont marqué un temps d’arrêt à la folie de l’existence qui faisait toujours mine de les laminer. Aujourd’hui, ils peuvent se permettre de ne travailler que sur commande et c’est encore un exploit, malgré les reproches de certains touristes qui pensent comme des enfants gâtés, sans jamais vouloir prendre en compte les difficultés qu’engendre l’éloignement dans notre pays. Quand le confort et l’absence de contraintes habitent en certaines demeures, ils ont pour conséquence de faire oublier les principes fondamentaux.

    Qu’importe ! Nous fûmes très heureux de les avoir connus et mieux, de les avoir aimés. Entre nous, les discours étaient inutiles. Chacun savait ce que l’autre allait dire à l’instant même où il le pensait.  

    Ils avaient un magnifique groenendael que nous avions découvert alors qu’il n’était pas plus gros que le poing. Il nourrissait une passion immodérée pour notre petit coton de Tuléar. Il reconnaissait le bruit de notre véhicule et venait à notre rencontre pour nous accueillir certes, mais surtout pour retrouver son amie.

    Ses sourires étaient si larges qu’ils découvraient sa belle dentition. Aujourd’hui, ils sont réunis dans le paradis des chiens, s’il en existe un et ils y sont certainement très heureux.

    À l’auberge, je ne puis regarder le canapé sur lequel tant d’amis à quatre pattes se sont vautrés. Il était le leur. Vous l’aurez compris ; c’est à tous ces indices de sincère tendresse que l’on reconnaît une maison où il fait bon vivre et dans laquelle on se sent en sécurité.  

    Voilà, chers lecteurs, en quelques lignes, résumée une période de notre vie dont je tenais absolument à ce qu’elle reprenne quelques couleurs, comme si nous voulions dépoussiérer un bel ouvrage oublié sur l’étagère la plus haute de notre bibliothèque. Il est si agréable, de flâner encore un peu sur cette époque qui en nos cœurs, dure toujours. Elle se complut à mêler intimement hier et aujourd’hui dans une même passion, exagéra lorsqu’elle confectionna pour nous, des attaches si solides, que rien ne saurait les délier, sauf la mort. Mais je suis certain que quoi qu’il puisse arriver, ceux qui resteront prendront plaisir à faire revivre ces souvenirs. Ils dureront aussi longtemps que les jours voudront bien illuminer la piste qui conduit à l’auberge que l’on aurait pu qualifier celle des audacieux.  

    Nous sommes tous originaires d’un pays où il est souvent dit que tout finit en chansons et musiques. La maison de la forêt n’échappa pas à la règle. Après une belle réunion, en un tour de main les tables et les chaises se retrouvaient entassées pour laisser la place à une piste de danse.

    C’est alors que s’enchaînaient les tangos, la salsa et autre biguine qui ne dérangeait même pas les dormeurs à l’étage. C’est que dans ces moments d’intense gaieté, le chef d’orchestre n’était que la passion qui unissait tous ceux qui avaient suivi l’évolution de l’auberge comme on surveille la croissance de l’enfant, avec toute la bienveillance due à son rang.

    Cette semaine, nous allons rendre une visite à nos amis de la montagne.

    Avec votre permission, je les saluerais de votre part, mais ne comptez pas sur moi pour vous parler des quelques larmes qui auront été versées au fil de la conversation. Parfois même, il n’est pas besoin de prononcer un mot pour qu’elles s’invitent à notre petite réunion. Mais c’est aussi cela que l’on dit être l’amitié.

     Amazone. Solitude. Copyright N° 00061340-1

     

     

     


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