• L'enfance envolée

     

    L'enfance envolée— Près de la fenêtre, le regard posé sur l’infini d’un ciel qui attendait le soir, une mère parlait à sa fille comme elle le faisait depuis des années.

    — Ma chère petite fille, car dans notre esprit, tu resteras toujours la petite fille, jamais nous ne nous pardonnerons de n’avoir pas consacré suffisamment de temps à surveiller dans chaque matin si la fleur que tu étais alors était sur le point d’éclore. Nous avions oublié que sous un ciel bas et triste aucun bourgeon ne saurait s’épanouir, semblable à un cœur que l’amour aurait oublié de visiter.

    Ce qui est arrivé est de notre faute. Ton père et moi avons toujours été trop orgueilleux. Nous t’avons faite trop belle, trop désirable en oubliant que dans l’esprit des jeunes filles toutes n’aspiraient pas à devenir des princesses. Il en est qui demeurent de jeunes filles sages, attendant patiemment que le papillon, délicatement, se pose sur leur épaule, afin que les sentiments reconnaissent qu’en cette âme il y a de la place pour le bonheur. Ton papa se plaisait à me dire en te regardant :

    — Qu’elle est belle notre petite ! S’il m’était permis de la comparer à une parure, je dirais sans hésiter qu’elle est la plus belle perle du collier. Elle sera désirée à ce point, que malgré nos efforts on nous la volera, comme le sont les bijoux trop brillants. Je suis certain qu’elle n’aura pas encore vingt ans, qu’il y aura une longue file de prétendants devant la porte.

    — Oui, ma petite fille, je le confesse aujourd’hui, je me sens responsable de ce grand vide qui occupe nos cœurs. Je n’ai rien compris, tout est allé trop vite pour moi qui n’ai jamais relevé le nez de mon ouvrage. Le temps passait et déjà, tu n’étais plus une enfant.

    Tu allais avoir dix-huit ans ! L’âge aux souvenirs impérissables pour une jeune fille. Les hommes ont toujours l’habitude de parler de destinées qu’il nous faut suivre lorsqu’elle vient nous prendre par la main pour nous conduire vers les saisons les plus belles. Chez nous, ce fut l’inverse.

    Le destin devant notre porte s’est arrêté. C’était un de ceux qui ont le regard triste, reconnaissable à ses yeux baissés et son air ironique. Il te prit alors que le jour n’avait pas épuisé son sablier, à l’heure où le printemps nous paraît éternel, l’époque des parfums, des fleurs et des promesses.

    C’est l’âge où l’inconscience nous fait bâtir les espérances les plus folles. C’est aussi le temps où l’on entasse pêle-mêle dans un carton le passé, les chagrins d’enfant, les caprices et les cauchemars. C’est le moment où l’on dépose ses petites chaussures, car on estime qu’il est temps d’arpenter le chemin de l’existence d’un pas plus sûr, plus agile, mais aussi plus impatient. Alors, peu importe le soulier, pourvu qu’il soit grand et solide.

    C’est l’instant où de nombreuses jeunes filles montent au grenier en jetant un dernier regard attendrissant à leur carton qui revêt les accents de toute une jeune existence. Il renferme les trésors accumulés au fil des ans afin que la lumière ne les abîme pas. On aimerait tant qu’ils gardent les couleurs et la fraîcheur, mais aussi les secrets qu’on leur a confiés.

    Qui sait si un jour nous n’aurons pas à le rouvrir pour pleurer sur notre mémoire. Les souvenirs ont en commun un sentiment bien particulier. Ils hantent notre esprit pour que nous prononcions les mots qu’ils veulent entendre afin que l’on ne les oublie jamais.

    C’est dans cette perspective que l’on prend délicatement tous ses rêves dans les bras, et que l’on ne quitte pas le grenier sans un dernier regard plein de tendresse vers ce carton où va se morfondre la toute première poupée de chiffon.

     

    La tienne, je n’ai pas eu la force ni le courage de la cacher dans aucun carton. Je ne voulais pas te perdre une seconde fois. Alors, elle est près de moi le jour durant. Je ne cesse de lui parler et de lui sourire, avec l’espoir fou, sans doute, qu’un jour elle me rende ces sourires qui font tant mal quand ils insistent pour se dessiner sur les visages blessés.

    Amazone Solitude


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