• L'exil

     L'exil— Croyez bien que ce n’est pas de gaieté de cœur que nous avons décidé de partir. Connaissez-vous des oiseaux qui, las d’une région qui ne leur procure aucun fruit et où de la terre ne sort jamais le moindre ver, insisteraient pour rester en un lieu où la feuille tombée n’est jamais remplacée ?

    Certes, ils partent ; mais au contraire de nous, ils ne vont jamais très loin. Ils volent de branche en branche comme pour signifier que malgré tout, il restera toujours un petit quelque chose dans le lieu qui les vit naitre. De nous, il ne restera rien, pas même l’écho des rires du dernier né emporté par les fièvres.

    Ainsi, avons-nous décidé de partir, loin, le plus loin possible et au mépris de toutes recommandations. Pareil à notre environnement, notre vie s’étiole dans nos régions oubliées des dieux. Lors d’un conseil des anciens, il y a fort longtemps, quelqu’un avait lu le message d’un homme important. Il prétendait alors qu’il ne pouvait y avoir de problèmes, auxquels ne serait apportée aucune réponse. Il avait insisté sur le fait que l’homme avait demandé le jour, mais qu’il lui appartenait de le meubler et de la peupler de bras vigoureux et ambitieux.

    Nous avons joint nos efforts et mis les ambitions de chacun dans la même corbeille. Sans doute était-elle trop profonde, que nos sentiments se sont perdus comme s’ils étaient tombés dans un gouffre. Le temps a passé, nos terres se sont appauvries jusqu’à devenir stériles. Pour paraitre plus grand et sans doute nous impressionner, le ciel s’est vidé de nuages gonflés d’humidité. Les années passent sans que la moindre goutte de pluie vienne emprisonner les graines destinées à nos récoltes. Les puits pareils que nos rivières s’assèchent, nous obligeant à parcourir toujours plus de chemin, pour aller chercher cette eau se retirant dans les entrailles de la Terre.

    Nos vies ne sont même plus miséreuses, la misère ayant choisi des peuples chez qui elle trouve de quoi se nourrir. Sur nos épaules, elle a délégué le désespoir, seul baume pour accompagner les souffrances. C’est pour toutes ces raisons que nous partons, avec le maigre espoir de laisser en chemin celle qui s’acharne sur notre peuple. Nous ne sommes pas les premiers, depuis longtemps déjà d’autres nous ont montré le chemin. Un jour, l’un de nos fils affirmait que le destin aime à être provoqué. Pourquoi lui refuserions-nous ce plaisir ? Dans notre village, aucun des nôtres n’est revenu. Devons-nous comprendre qu’il existe un ailleurs, de l’autre côté des océans, où le bonheur a élu domicile ?

    Si tel est le cas, à quoi nous servirait-il de rester plus longtemps en un lieu où la vie et la mort font cause commune ? Il est vrai qu’il y a la mémoire de nos ancêtres, mais où que nous allions sur la terre, elle nous suivra, car l’âme de nos ainés réside depuis toujours dans nos cœurs. Le passeur nous a indiqué que la route sera longue et périlleuse. Mais rester chez nous n’est-il pas tout aussi dangereux, puisque chaque jour la mort vient prendre son obole parmi les plus innocents ?

    Il est possible que vous ne mangiez pas chaque matin, nous a-t-on dit avec la plus grande assurance. Quelle différence avec notre quotidien lui avons-nous répondue ? Nous ne connaissons aucun matin dans le ciel duquel il est fait mention d’un festin ! Il vous faudra aussi marcher, marcher très longtemps avant que vos yeux se posent sur l’océan, là-bas, derrière l’horizon. Marcher ; c’est ce que nous faisons chaque jour. Nous marchons pour tout, pour trouver une eau qui se refuse à nous, ainsi que du gibier qui n’a plus guère d’espérance que nous sous leurs vieilles peaux usées ayant le plus grand mal à contenir leur maigreur famélique.

    Après tous ces conseils, le passeur s’empressa de prendre le peu d’argent que nous possédions. Mais en avions-nous vraiment besoin, puisque depuis longtemps, plus aucun colporteur n’avait visité notre village ? Pour nous, le temps est venu d’emprunter la seule chose dont tout homme à espérer une fois dans sa vie. La route qui conduit vers le rêve.

    Ce fut dans l’aube naissante que nous avons osé tourner le dos à notre village. Nous ne nous sommes pas retournés pour n’avoir rien à regretter. Nos regards portaient loin, à la recherche d’un signe qui nous indiquerait la voie.

    Si nous ne parvenons pas à destination, au moins aurons-nous laissé derrière nous quelques traces, pour expliquer à ceux qui restent, que si les autres pays ressemblent à un mirage, du nôtre, la vie a disparu depuis bien longtemps.

    Chez nous, le temps a toujours passé trop rapidement, car là où réside le malheur, il ne lui vient pas à l’esprit de s’arrêter pour s’y reposer, ne serait-ce qu’un instant.

     

    Amazone Solitude


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