• L'or pour passion

    L'or pour passion— La famille était nombreuse et la propriété était modeste. Il y avait longtemps qu’elle ne suffisait plus à nourrir les ventres et la fille aînée se dit qu’elle suivrait bien l’exemple du père, qui à son époque déjà, entre deux mauvaises récoltes, s’était essayé à l’orpaillage. Oh ! N’allez pas croire qu’il y fit fortune !

    C’était une passion qui était née par le plus grand des hasards, comme le sont souvent les évènements auxquels nul ne s’attend.

     

    Un beau matin, il entreprit de rafraîchir les berges de la petite rivière qui bordait la propriété. Intrigué par un éclat particulier au milieu d’une pelletée de graviers, il découvrit une pépite. Elle n’était pas très grosse, mais il en fut si fier qu’il décida de laisser l’exploitation agricole à ses fils et que désormais, il se consacrerait à la recherche de l’or.

    – Il se trouve toujours quelqu’un pour vous l’acheter, disait-il.

    Pendant des années, il fouilla la terre et la nettoya à l’aide du chapeau chinois, plus connu sous le nom de battée. Il fallait le voir ! Aucun geste n’était le fait du hasard. L’une après l’autre, le matériau boueux et pierreux était déposé dans le récipient, puis malaxé entre les mains. Réduit à l’état pâteux, au fur et à mesure qu’il ajoutait de l’eau, la terre se délayait, et par de savants tours de poignets, celle-ci était rejetée dans la rivière. Les éléments les plus lourds descendaient dans la partie basse du chapeau chinois où ils étaient encore lavés, puis extraits.

    Marchant dans les pas de son aîné, la jeune femme abandonna la modeste exploitation pour se consacrer à son unique passion, celle que le père lui avait transmise comme seul héritage. Elle avait tant observé son parent qu’aucun de ses gestes ne lui fut étranger. Elle savait que l’on ne changerait pas de si tôt la façon de faire quant à la méthode artisanale de la recherche de l’or.

    Qu’importe ! Disait-elle que l’on se moque de moi ? Dans la vie, nous ne faisons bien que les choses qui sont nourries par la passion.

    Alors qu’elle passait la journée à piocher puis laver la terre, elle entendait encore sa mère maugréer sans cesse auprès du père. Il faut comprendre qu’elle était attachée aux traditions et avait laissé la vie la guider à travers ses arcanes.

    Son monde ne comportait qu’une saison. La plus douloureuse ; celle qui force l’homme à sourire même si le quotidien ne s’y prête pas, alors que les jours sont aussi tristes que l’arbre qui laisse aller ses feuilles avant de trouver le grand repos.

    Depuis longtemps, le père ne prêtait plus attention à ce qu’elle racontait. De son côté, il avait vainement essayé de lui expliquer que la terre renferme des trésors qui s’ennuient dans les ténèbres alors qu’ils sont destinés à briller sous l’ardeur des rayons du soleil heureux de trouver le métal qui le fait paraître encore plus éclatant.

    Elle ne l’écoutait pas, se détournant même en haussant les épaules.

    Retournant à ses recherches, il laissait vagabonder ses pensées. Il ne s’était jamais imaginé un millionnaire, la richesse des petits orpailleurs ne se trouvant que dans l’espoir. Mais grâce à cette conviction, les jours s’enchaînaient et jamais l’un n’était plus sombre que l’autre.

    La jeune fille expliquait avec une pointe d’admiration dans la voix que jamais elle ne le voyait plus heureux qu’à l’instant où une paillette s’offrait à son regard. D’abord, il ne disait rien. Délicatement, il enlevait les impuretés, puis il puisait l’eau dans le creux de la main et la laissait tomber subtilement en un mince filet, comme s’il baptisait le fruit de ses pénibles recherches. Ensuite, il collait la paillette sur le bout de son doigt et la portait jusqu’à ses yeux qui n’apparaissaient à cet instant qu’à travers des paupières quasiment closes, concentrant sa vue sur le précieux trésor. Sans prononcer un mot, il la contemplait longuement, comme s’il attendait que la paillette le remercie de lui faire connaître enfin l’éclat de la lumière.

    La jeune fille disait alors en baissant la tête comme si elle se savait en faute, qu’en de pareils instants d’intime bonheur les larmes n’étaient pas loin de couler et qu’elle s’abstenait de tous discours afin de ne pas troubler l’intense émotion qui couronnait le labeur d’une ou plusieurs journées d’un travail harassant.

    L’émoi passé, il reprenait de plus belle sa pioche et sa pelle. Il concassait et lavait les matériaux sans jamais se désunir ni se fatiguer. Des tonnes de terre collante étaient nécessaires pour ne découvrir qu’un seul petit gramme du précieux métal, mais le père ne désespérait jamais.

    Un jour, il dit même que les pierres dont il avait fait le chemin étaient certes plus nombreuses que les paillettes ayant rempli son flacon, mais qu’il restait persuadé qu’une seule de ses modestes pépites oubliées parmi ces milliers de cailloux faisait de ce chemin le plus beau et le plus riche de toute la région.

    Pour justifier le choix qu’elle avait fait de laisser les récoltes à l’appétit toujours grandissant des criquets et quantité d’autres insectes, elle prétendait entendre son aîné l’appeler sur les berges de la rivière. Elle l’avait dénommé celle de l’espérance, en souvenir de la joie que son père éprouvait à chaque nouvelle découverte et à son acharnement à redoubler d’efforts pour augmenter son trésor.

    Mais elle gardait pour elle ces confidences qu’un jour il lui avait faites, alors que dans sa main rayonnait une pépite de quelques grammes :

    Ma fille, je crois que l’or a été inventé pour l’exclusivité de nos peaux noires. Il me semble que ce ne soit que sur elles qu’il trouve tout son éclat, à moins que ce ne soit l’inverse ?

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00061340-1

     

     

     


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