• La carte de vœux 3/4

     

    C’était cette matinée si riche en évènements que Robert savait qu’il allait manquer et qui le rendait de mauvaise humeur. En lieu et place des rires, des appels et des exclamations de toutes sortes, c’était le sarcasme de la nourrice qu’il devait subir en ce jour, qui, pourtant l’avait-il cru, semblait lui avoir été promis. Elle ne voulait rien lâcher, car elle lui avait confié l’instant précédent, qu’avec le bagout qu’il avait, il devait certainement avoir quelque facilité pour le poser sur du papier. En vérité, et contrairement à ce que l’on était en droit de croire, Robert aimait écrire et bien qu’elle ne lui en ait jamais fait la remarque, elle en était convaincue.

    Oui, pour aussi surprenant que cela puisse paraître, il adorait former les lettres, les aligner correctement les unes collées aux autres, s’appliquant à faire les pleins et les déliés. Il prenait le plus grand soin afin que la plume ne gratte pas le papier et que malencontreusement l’encre vienne à faire une tache. Il prétendait que chacune des lettres avait une histoire sans doute extraordinaire et qu’il convenait de la former dans le plus grand respect, afin de ne pas déformer l’origine. Et ce jour, il devait faire doublement attention, car il s’agissait de cartes de vœux sur lesquelles aucune erreur n’est permise. Pensez donc ; il en allait de la réputation de la famille !

    Le petit déjeuner vite avalé, il nettoya la table et disposa le matériel de torture. Pour les vues à proprement parler, il n’avait pas à se faire de souci. Elles étaient toutes identiques. Cela ferait du temps de gagné de ne pas choisir quel paysage pour quelle personne. S’installant au bout de la table la mieux éclairée, il lança tout haut afin qu’on le comprenne bien :

    — Sainte corvée, priez pour moi.

    Il déposa un vieux journal sur la toile cirée et mit l’encrier sur l’angle supérieur droit. Les cartes étaient à gauche et le buvard trouva sa place sous la main. Il allait servir de règle ainsi que d’éponge pour le cas où il surviendrait une catastrophe.

    – Écris lisiblement, demanda une nouvelle fois la Françoise. On peut être des campagnards, cela n’empêche pas d’avoir du savoir-vivre et de belles manières et même de l’instruction !

     – Bon, s’impatienta Robert. Je commence par ta cousine Gabrielle ?

    – Oui, répondit-elle. Comme cela, on sera sûr de ne pas l’oublier, celle-là !

    – On dirait que tu ne l’aimes pas beaucoup cette femme, dit Robert. Cependant, elle est bien de ta famille !

    – Je ne fais que lui rendre la monnaie de sa pièce, dit Françoise.

    – Qu’est ce qu’elle t’a fait pour que vous en soyez là ? Aurait-elle détourné ton fiancé, alors que vous étiez à l’école ?

    – Je ne risquais pas d’en avoir un à l’époque. <<<<En classe, je n’y allais pas souvent. Je n’étais pas comme la cousine qui paradait avec ses robes à volants et autres frous-frous !

    – Tu étais un peu jalouse, car elle était la préférée de la famille. En ce cas, je comprends que tu ne la portes pas dans ton cœur !

    – Ces histoires sont anciennes et ne te concernent pas.

    – Moi, dit-il encore, c’est la Francette que j’aime, car chaque année, elle n’oublie jamais de m’apporter de nouveaux timbres pour ma collection !

    – Évidemment, répondit Françoise avec une légère rancœur dans la voix. Avec l’argent qu’ils ont, ils peuvent s’en payer, des voyages à travers le pays !

    Robert posa la question qui lui brûlait les lèvres.

    – Je ne comprends pas très bien. Si vous ne vous aimez pas, pourquoi lui écris-tu ? Je sais depuis quelque temps que ce n’est pas bien de prononcer des mots que nous ne pensons pas.

     – Imagine ce que tu veux, répondit la nourrice. Tu apprendras plus tard que cela s’appelle de la diplomatie !

    – Laisse-moi rire, osa encore Robert. Notre maître dit que cela se nomme de l’hypocrisie, quand on sourit à quelqu’un que l’on ne désire pas croiser.

    – À propos d’instituteur, j’ai rencontré le tien, l’autre jour à l’épicerie.

    – Se montrant soudainement curieux, Robert demanda :

    – Oui ? Et alors qu’est-ce qu’il t’a raconté ?

    Il m’a prise à part pour me dire ce qu’il pensait de toi.

    – Ah ! J’imagine que cela n’a pas duré bien longtemps, s’exclama Robert !

    – Détrompe-toi, le rassura Françoise. J’ai même eu honte à l’instant où nous nous sommes retrouvés seuls dans la boutique, avec la mère machin qui ne se cachait pas pour écouter ce que nous disions.

    – Puisque je suis concerné, demanda Robert, qu’a-t-il pu bien te dire pour qu’il te revête d’un habit honteux ?

    – Ne sois pas effronté, rétorqua-t-elle. D’où sors-tu ces mots nouveaux ? Si ce sont les imbéciles que tu fréquentes qui t’apprennent à parler comme les charretiers, je vais vite y mettre le holà à tes escapades ! Si j’en crois ton instituteur, en tout cas, ce n’est pas lui qui vous enseigne ces sornettes. Je ne sais même plus de quoi il voulait m’entretenir tellement il avait des choses à m’expliquer. Il m’a dit que c’était injuste, ça, oui, je me souviens.

    – Ah ! quand même, s’écria Robert, presque comme un signe de victoire. Il reconnaît enfin qu’ils ont toujours été ignobles envers moi en me répétant à tout bout de champ que je suis un fils d’allemand !

    – Ce n’est pas de cela qu’il s’agit, le refroidit Françoise. De toute façon, ils n’inventent rien en le disant. Il m’expliquait qu’il était malheureux que certains élèves fassent des efforts sans pour autant parvenir à se hisser dans le haut du tableau, alors que toi tu y parades sans que cela te coûte la moindre peine. Il prétendait qu’il te suffirait que tu mettes un peu de volonté pour devenir l’un des meilleurs. Il était désolé, car rien ne semble t’intéresser. On dirait que tu es toujours absent ou dans la lune.

    – Oui, il a surtout oublié de te parler du temps que je passe dans son jardin au lieu de m’ennuyer sur le banc de mon pupitre. Je crois qu’il n’est pas honnête, ajouta Robert. Si je n’écoutais rien, je serais sans doute le dernier. Or, je ne le suis pas. C’est bien la preuve que je suis plus attentif qu’il le prétend, non ? Tu sais, si j’ai deux oreilles ce n’est pas par hasard. De l’une, j’écoute tout ce qui passe à l’entour de l’école. De l’autre, tout ce qu’il raconte. Enfin, quand cela m’intéresse vraiment. Ne dit-on pas très justement prêter une oreille et jamais les deux ?

    – C’est aussi de cela qu’il me parlait. De ton insolence. Méfie-toi, Robert. Un jour, cela te jouera de mauvais tours ! Tu n’es pas encore assez grand pour te permettre de te fiche de la tête des gens.

    — Que veux-tu que je réponde ? demanda Robert. Seule la moitié de ce qu’il raconte m’intéresse réellement. Justement, je tends l’oreille lorsqu’il nous parle d’une histoire passionnante. J’aime celles dont on est sûr que ceux qui les ont écrites l’ont fait avec leurs émotions et leurs frissons. Tu vois, et bien que cela vous dérange ici, c’est bien pour cela que je vais à la rencontre des personnes âgées. En les regardant attentivement, on devine qu’elles aussi ont traversé des histoires merveilleuses. Elles ont été si riches, que sur leur peau, elles ont déposé tant de frissons, qu’aujourd’hui ils se sont transformés en autant de rides qui ressemblent aux vagues qui courent sur la mer.

    – Ce genre de réflexion, il n’a pas manqué de m’en faire part. Il t’arrive de faire des phrases dont lui-même ignore où tu es allé les chercher !

    – Et alors demanda Robert, que lui as-tu répondu ? (À suivre).

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