• La carte de vœux 4/4

     

    – Oui, que lui as-tu répondu ?

     

    – Que sans doute quelque chose ne tournait pas rond dans ta tête ! Je lui ai dit que tu restais souvent tout seul et que nous ne savions même pas où tu étais.

    Tu finiras mal, j’en suis convaincue ; tu verras, tu seras écarté des autres ; ils te repousseront, et je devine dans quel état on te trouvera ! Peut-être un clochard ; et tu feras comme celui qui chante toutes les nuits, les mots qu’il découvre dans son vin. Maintenant, je comprends mieux pourquoi la pauvre grand-mère tenait tant à t’avoir dans sa chambre. Elle a bien dû rire avec toutes tes bêtises et tes boniments !

    – Détrompes-toi, répondit prestement Robert, dont le souvenir de la vieille femme le hantait toujours. Rien de ce que nous disions ne prêtait jamais à sourire. Elle me racontait les choses de la vie ainsi qu’un peu des siennes. En échange, je lui parlais de celles qui se passent de nos jours dont elle était depuis si longtemps coupée. C’est au cours de ces échanges que j’ai compris que le chemin qui conduit la jeunesse vers la vieillesse n’est pas si étendu que les gens le prétendent. Sur l’un des bas côtés, il y a l’innocence. Sur l’autre, c’est l’expérience qui fleurit afin que chaque personne passant puisse cueillir sa part.

    Il nous suffit de tourner le regard de part et d’autre de la route pour nous assurer de la bonne direction vers laquelle nous avons la prétention de poser nos pas, car notre histoire s’écrit à l’instant où nous avons décidé d’avancer.

    – C’est bien ce que je dis, lança la Françoise ; si les petits cochons ne te mangent pas, nous ferons peut-être quelque chose de toi !

    Dans la pièce qui commençait à s’enfumer, car la cheminée tirait mal comme toujours, soudain, il y eut comme un temps mort. Dans ces occasions, on dit alors que c’est un ange qui passe. Robert espéra que c’était celui de la grand-mère Louise. Des regrets à moins qu’il ne s’agisse que de remords devaient refaire le chemin d’une vie qui ne connut pas souvent d’embellies dans la tête de Françoise.

    Dans l’esprit de Robert, venait de naître une nouvelle question. En serait-il ainsi toute son existence ? Devra-t-il ne fréquenter que les sentiers qui conduisent au doute ?

    N’est-il fait que pour écrire l’histoire des autres jusqu’à oublier la sienne ?

    Sera-t-il obligé de correspondre toute sa vie avec des inconnus, de ceux dont on sait qu’ils n’occuperont aucune place dans votre cœur ?

    C’est alors qu’il revit les gens qui gravitaient dans leur entourage. Il comprit pourquoi l’existence paraissait longue et douce pour les uns tandis qu’elle se montrait si courte et pénible pour d’autres. C’est quand il arrive le temps où plus personne ne frappe à votre porte que l’espoir disparaît. C’est sans doute pour cette raison qu’il est important d’écrire de temps en temps, afin que le facteur ne vienne pas que pour vous saluer, mais pour une fois, qu’il a le plaisir de vous annoncer qu’une lettre vous est destinée !

    Robert avait déjà vu quelques personnes tenant une enveloppe entre les mains, la regardant comme si elle n’était pas pour elles. C’est seulement qu’à cet instant elles réalisaient qu’elles existaient toujours, que quelque part quelqu’un pensait à elles. Avant même d’ouvrir la missive, elles fixaient leur propre nom. Comme elles le faisaient en ce matin où elles avaient reçu cette enveloppe, elles prenaient conscience qu’en de nombreux endroits on avait lu leur patronyme, celui de la ville et aussi celui de la rue où elles résidaient. L’histoire n’était donc pas terminée ! Peut-être même que le courrier est parfumé comme celui qui arrive d’une île lointaine que l’on imagine posée sur l’océan, alors qu’elle s’enfuit, éprise de liberté en compagnie des vagues lancées à son assaut et l’invitant à les suivre dans leur repli.

    Robert et Françoise ne se regardaient plus. On pouvait en déduire qu’ils venaient de découvrir les pensées de l’autre. Il n’y avait pas qu’au village que l’on avait décrété une trêve. Pour une fois, dans la maison on se surprenait à sourire. Oh ! Il ne fallait pas croire que Robert s’imaginait qu’une vie différente venait d’arriver avec l’an nouveau. Il ne se faisait pas d’illusion. Il savait que comme il se passe parfois dans le firmament, il y a aussi de belles éclaircies sur la Terre, même si elles ne durent pas longtemps, elles sont toujours bonnes à prendre. Les vieux, justement, ne disaient-ils pas :

    – « Ciel moutonné est comme femme pommadée, jamais de longue durée » ! Mais comme dans un firmament apaisé les couleurs retrouvent de leur éclat, Robert pensa qu’il devait aussi graver dans les cœurs des malheureux, des sentiments qu’ils croyaient être disparus à tout jamais.

    – Estimant que le climat dans la pièce devenait de plus en plus lourd, il comprit qu’il lui appartenait de meubler le silence de quelques réflexions avant qu’il ne prenne ses aises.

    – Bon, dit-il, comme s’il s’agissait de réveiller toute la maison ; ce n’est pas tout. Cela ne me dit pas ce que je dois écrire sur la carte de ta cousine.

    – Après tout, répondit Françoise sur un ton qu’il ne connaissait pas, mets ce que tu veux. Je vois que tu détiens suffisamment de formules, n’est-ce pas ? Et puis, maintenant, je suis sûre que tu ne manques pas d’imagination ! Dès l’instant où tu n’écriras pas de sottises, le reste n’a plus d’importance. Tu sais, je ne devrais pas te le dire, mais l’instituteur m’a dit que si tu le voulais, tu pourrais faire de belles études.

    – C’est gentil à lui, mais c’est non, répondit Robert peut-être trop vigoureusement. De toute façon, je devine que l’assistance choisira pour moi. Pour ma part, je sais ce que je désire. Je n’ai aucune envie de vivre, avec dans la tête les idées des autres. Je ne veux que les miennes. Sans doute ne seront-elles pas aussi riches que chez certaines personnes ; mais elles auront le mérite d’être claires et de m’appartenir. Il y a quelques jours, j’ai appris quelque chose de surprenant, tu le crois ?

    – Comment le saurai-je, puisque nous parlons si peu ?

    – La faute à qui ? répondit Robert qui venait de se rendre compte que les bonnes habitudes ne se perdent pas aussi vite que l’on veut bien le dire.

    – Dis-moi toujours, demanda Françoise ; et pendant que tu es dans les confidences, tu peux même me révéler le nom de la personne, qui te dévoila cette information sans doute capitale, puisque tu l’as retenue !

    – Personne ne m’a soufflé la réflexion, la déçut-il. C’est en regardant mon ombre me devancer ou me suivre, selon la position du soleil, que je compris qu’elle ne serait jamais celle de quelqu’un d’autre. Elle sera toujours ma propriété absolue et personne ne pourra prétendre se glisser à l’intérieur pour s’en revêtir à mon insu. Elle est mienne au même titre que le sont mes pensées et mon caractère.

    Françoise crut utile d’ajouter qu’avec un tel état d’esprit, il allait certainement au-devant de nombreuses déconvenues.

    – Bien des gens ont appris à se plier, répondit-elle sèchement ; et d’autres ont suivi des chemins qu’ils avaient juré qu’ils ne fréquenteraient jamais. Certains ont été obligés de remiser au fond de leurs goussets leur personnalité profonde et si précieuse. Pour d’autres, c’est l’ambition qu’ils y abandonnèrent. Et sais-tu ce qu’il leur est arrivé ? Un jour, ils changèrent de pantalon en oubliant de vider leurs poches.

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00048010

     

     

     

     


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