• La ferme de l'étrange 1/ 11


    — Ce matin-là, les hommes avaient revêtu leurs mines quelque peu renfrognées, ajoutant à l’ambiance maussade qui régnait dès le lever du jour. La cause n’était autre que celle d’une aurore qui avait tardé à prendre une décision ; elle s’excusait en prétextant qu’elle était restée suspendue dans les ramures de la forêt qui encerclait la petite ferme. L’exploitation était saine, mais avait toujours su conserver une certaine modestie, en veillant à ne jamais mettre en danger ce que les plus anciens avaient bâti, des générations plus tôt. Certes, à la construction chacun avait cru bon d’apporter sa pierre, mais sans pour autant changer quoi que ce soit à l’aspect général.

    Les champs n’avaient jamais cessé d’être labourés, comme si ceux qui s’étaient succédé à leurs surfaces étaient conscients que c’était la seule façon d’entretenir la mémoire de la Terre. Oh ! Quelques parcelles avaient bien connu l’ennui de la jachère, mais c’était pour leur permettre de retrouver leur jeunesse, prétendait-on alors.

    — Rendons à la terre ce qu’elle nous a donné ; aimait-on à dire avec, dans la voix, un accent de sincérité. Mieux que quiconque, elle devine ce qui est bon pour elle et lors de son repos, elle puise les éléments indispensables à sa survie dans son environnement.

    On savait alors que nous avions eu raison de lui accorder un répit à l’instant où la faux entamait les blés aux épis gonflés, généreux et lourds dès la première moisson.

    L’un des propriétaires précédents n’était autre que le grand-père de la jeune femme qui s’apprêtait à faire son entrée dans la salle principale de la bâtisse qui partageait sa surface avec l’étable. Les pièces n’étaient séparées que par une porte qui, la plupart du temps, pour des raisons de commodité durant la saison hivernale, restait entrebâillée.

    Comme sur l’ensemble de la propriété, dans l’habitation, rien n’avait été bouleversé depuis des générations. D’ailleurs, personne ne se serait avancé pour prétendre que le temps lui-même ne s’était pas endormi un soir dans un coin de la cheminée et que personne depuis ce jour, n’avait osé le réveiller.

    Dans l’âtre, nul n’aurait imaginé que le feu, un jour, se fut éteint. Il s’était toujours trouvé une main pour remettre une bûche sur des cendres et des braises qui n’avaient jamais connu l’angoisse des tisons refroidis.

    On prêtait au vieil homme, aïeul de la jeune femme, des pouvoirs surnaturels. On disait de lui qu’il était guérisseur et qu’il avait le don de pouvoir éteindre tous les feux qui couvaient dans le corps des hommes comme chez les animaux. Certains même, osaient dire de lui qu’il était sans doute devin, puisqu’il ne se trompait que très rarement dans ses prévisions. On venait de loin pour lui demander conseil, et avant d’entreprendre leurs propres travaux, les fermiers des environs attendaient qu’il ait commencé les siens.

    Si chacun lui reconnaissait d’immenses talents, en revanche, on le craignait un peu. On ne détient pas certains dons tout à fait par hasard, se risquait-on à dire. Les gens comme lui sont certainement possédés par un esprit qui réside à la ferme dont on n’avait jamais su les raisons qui lui avaient fait choisir cette ferme.

    Il était ensuite facile de croire que c’était sans doute ce même esprit qui faisait le tour des terres pour que celles-ci soient toujours les plus belles. Et puis, sans l’aide d’une force supérieure, comment aurait-il su employer un pareil langage avec les gens et les animaux ? Toutes les bêtes rétives chez les autres auprès de lui étaient transformées en sujets dociles. Qu’une vache vienne à refuser le taureau, après la visite de l’homme de science (même si elle était occulte), elle devenait fécondable et s’avérait être la meilleure des mères. Il parlait sur un ton calme et l’on imaginait alors qu’entre lui et l’animal un dialogue s’établissait.

    Les plus septiques, car il s’en trouve toujours, essayaient bien d’expliquer que tout cela n’était que pure illusion. Les évènements qui se déroulaient sous leurs yeux n’étaient en vérité que des images ou des désirs qui tournaient en leur tête et qu’ils souhaitaient de toutes leurs forces les voir se réaliser. Ensuite, tout n’est que coïncidence. Ce phénomène est bien connu, insistaient encore les gens de peu de croyance. Ce sont les mêmes choses qui se passent avec les chimères et les mirages.

    Loin de se démonter, les braves hommes répondaient qu’il devait certainement avoir du sang d’animal pour se permettre de les connaître aussi bien et réaliser sur eux de véritables miracles. Oui, disaient-ils en appuyant sur chaque syllabe. Ce monsieur fait des prodiges !

    Mieux, les plus vieux disaient que dans les environs, jamais aucun chien, y compris ceux de mauvaises réputations, ne l’avait mordu ni effrayé. Étrangement, ils se soumettaient comme un pèlerin s’agenouille devant un évêque !

    Il se trouvait même des gens pour affirmer que cet homme devait sans aucun doute venir d’une vie antérieure pour savoir autant de choses. Contrairement au commun des mortels, il n’avait aucune limite dans les connaissances, pouvait soutenir toutes les conversations et même donner des leçons à ceux qui prétendaient détenir le savoir. (À suivre).

     

     

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