• La lune et l'enfant

    – Au cours de nos existences, il se produit parfois des phénomènes dont nous n’avons pas besoin d’aller remuer le ciel et la terre pour en découvrir les origines. Afin d’éviter les questions inutiles, nous dirons que certains sont les produits de nos intuitions et qu’il serait inconvenant de vouloir les expliquer à tout prix.   Un soir, sans raison particulière autre que mon épouse portait le fruit de notre amour, je m’adressais à elle en ces termes :

    – Ce soir, ma belle, je suis l’homme le plus heureux ! Pour ajouter à mon bonheur, je puis te dire que l’enfant qui s’agite en ton sein sera notre fils !

    – Comment peux-tu en être si sûr ? Te voilà donc devin, à présent ? Tu sais, me dit encore l’élue de mon cœur, à chaque grossesse de ma mère, mon père lui avait prédit qu’elle serait fille ou garçon. À chaque fois, il s’est trompé ! De plus, lui, il avait un pendule ! Qu’est-ce qui te fait croire que c’est un homme plutôt qu’une femme ? Peut-être est-ce seulement parce que tu le désires intensément ?

    – C’est simple, répondis-je. Depuis que l’enfant a signalé sa présence, j’ai bien observé ton ventre et j’ai noté qu’il ne s’est jamais arrondi, semblant nous indiquer le nouveau chemin qui se dessinait devant lui.

    – Ta vue est remarquable, s’exclama ma compagne. Moi, je ne distingue rien de semblable !

    – Me concernant, ça ne fait pas l’ombre d’un doute, répondis-je avec certitude ! Je peux même te dire qu’au vu de cette posture, il n’y a qu’un garçon pour vouloir aller si vite vers l’inconnu, alors qu’il ne sait rien du jour présent. Je vais te rappeler ce que les anciens disaient dans nos villages :

    – Le ventre bien rond de la future mère indique qu’elle porte une fille qui prend ses aises. En bonne petite maman instinctive, elle prépare un nid douillet pour y installer son avenir. Quand il est pointu, ne laissant rien deviner de ses formes à la personne qui se trouve derrière elle, c’est bien d’un garçon dont il s’agit !

    – Dans mon pays, dit la future maman, on prétendait que c’était des histoires de vieilles bonnes femmes !

    – En tout cas, assurais-je une fois encore, cet enfant qui n’est autre que le fruit de notre amour sera bien un petit gars et à n’en pas douter il deviendra aussi beau que tu es merveilleuse.

    – Mon ami, demanda l’épouse avec quelque inquiétude dans la voix. Si l’inconnu que tu appelles déjà ton fils ne l’était pas, en serais-tu déçu ? L’apprécierais-tu moins que cet être qui semble hanter ton esprit ?

    – Non, gentille future maman de nos enfants. Je n’affirme rien qui laisserait comprendre que je veuille l’un ou l’autre. Celui qui attire présentement notre attention est avant tout celui de notre sang. Il sera nous deux, réuni en un seul corps. Si c’est une fille, je l’aimerai tout autant, car elle sera toi et moi, te dis-je.

    – Mais tu penses quand même au garçon, insista mon épouse !

    – Il sera, affirmais-je une fois de plus. Non que je le désire violemment, mais parce que notre vie est une promesse d’aventures. Pour vivre la première, il me fallut débroussailler le chemin. C’est un travail d’homme que celui de remuer ciel et terre pour préparer l’avenir de sa famille. Au fils qui annonce sa venue revient le privilège d’allonger la route pour adoucir le pas de ses sœurs. Je te rappelle que de plus il sera le fier descendant d’une lignée de corsaires et d’aventuriers ayant parcouru toutes les mers du monde, et surtout, fils de parents qui ne refusèrent pas de courir eux aussi au-devant de nouvelles situations inattendues et parfois aléatoires !

    – Je ne sais pas si un jour nous nous autoriserons à raconter cette histoire à nos enfants et même aux leurs. C’est tellement loin, tout cela ! Et puis, de nos jours, ces aventures de navigateurs-détrousseurs sont sans intérêt.

    Quelques jours plus tard, tandis que le ciel semblait se préparer à un événement particulier :

    – Ma mie, vois la lune comme elle est belle. Ce soir, je trouve qu’elle rayonne davantage. Je la soupçonne aménageant l’espace pour y accueillir notre enfant. Regarde comme elle a pris soin de tendre un joli voile bleu sur le ciel, et l’univers s’est paré de la même nuance. La nuit a choisi sa couleur, ma chérie, comme notre île d’ordinaire luxuriante d’une éclatante verdure. L’océan a revêtu lui aussi son plus bel habit, lui si sombre en cette saison. Il n’est pas innocent, te dis-je si le monde se pare de la couleur réservée aux garçons. Vois encore, belle petite mère ; autour de la maison, les singes mâles font un cercle. C’est un présage !

    Parce que le songe n’est pas mensonge, en même temps que le soleil levant l’enfant parut et poussa son premier cri.

    Il semblait furieux et se débattait avec vigueur. C’était un fier garçon. Merci, ma chérie, dis-je, avec les yeux emplis de brouillard. Nous lui donnerons une petite sœur, plusieurs, si tels sont tes désirs.

     

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