• Là ou Ailleurs

    Là ou Ailleurs

    Dialogue entre un jeune  garçon et un adulte

     

     

    — Alors, mon ami, on m’a rapporté que vous vous apprêtez à nous abandonner ? C’est pour cette raison que votre échoppe est fermée depuis quelques jours ? Trouveriez-vous notre village trop petit ? Pourtant, vous y avez passé une vie, ce n’est pas rien !

    Je pense même qu’après tout ce temps, nous laissons plus de nos empreintes aux autres qu’à nous-mêmes.

     Pour nous, nous avons les souvenirs de nos parents et de nos amis et il serait juste que nous allions les retrouver lorsque notre heure a sonné au clocher.

    Aux autres, nous laissons nos mots et notre courage, notre compréhension et parfois aussi nos sourires qui ont effacé leur peine.

    Notre vie reste une sorte de long cortège, traînant derrière lui une suite heureuse d’évènements que nous avons créés ou subis. On ne peut logiquement renier le temps qui nous a accordé ses faveurs !

    À moins que vous trouviez notre cimetière trop petit. Dans ce cas, je comprends que vous désiriez reposer dans un plus grand, plus beau, mieux aménagé et qui sait, mieux orienté aussi.

     — Sais-tu, jeune homme, ce qui va surtout me manquer ?

    Ta curiosité !

    Quant au reste, le cimetière dont tu parles n’est pas le mien. Il est celui de mes parents et aussi ceux pour qui j’ai eu de l’affection qui s’y trouvent réunis.

    Depuis longtemps, j’ai décidé qu’il ne serait pas mon lieu de repos éternel. Je ne m’y suis pas rendu aussi souvent que je l’aurais souhaité. Sans doute que mes visites faisaient suite à quelques mystérieux appels, car souvent je ne pouvais expliquer les raisons de ma présence en ce lieu, à part les dates anniversaires et autres fêtes religieuses.

    Je crois que cet endroit où le silence est de mise n’appartient qu’à ceux qui l’occupent. Il ne sera pas celui qui me verra m’y allonger à jamais.

     — Pardonnez mon insolence, mais la réalité n’est-elle pas, qu’en fait vous redoutiez d’en devenir un locataire comme tous les autres ?

    Le fait de vous éloigner de lui, en votre esprit, ferait-il qu’il n’existe plus ?

    Il est vrai qu’à vos yeux je suis encore bien jeune, néanmoins, j’ai compris que là où nous allions, il y en aura toujours un qui nous attend, à défaut de nous avoir suivis.

    Vous le voyez, il nous devance. Quel que soit le village ou la ville où nous nous trouvons, partout nous sommes attendus.

     — Je n’ai aucune raison de ne pas te faire plaisir, mon garçon. Sans doute dis-tu vrai ; mais je possède un avantage sur les autres hommes. Dans ma nouvelle ville, j’ignorerai où se trouve le cimetière, n’y ayant jamais accompagné quiconque.

     — Veuillez excuser mon insistance ; celui du village vous effraie à ce point que vous ne désiriez pas l’occuper ?

     — Tu te trouves à mille lieues de la vérité, mon jeune ami.

    Tu n’es pas sans savoir que pour tout le monde j’ai toujours été le simple, presque l’idiot du village, s’il n’avait pas, Dieu merci, existé avant moi.

    Tu comprendras que je ne tiens pas à retrouver ces gens qui n’auront jamais cessé de m’humilier toute la vie, caquetant et riant derrière moi une dernière fois.

     — Si cela peut vous rassurer, je puis vous dire que tous les hommes, sans exception, lorsqu’ils nous ont quittés, finissent par manquer à ceux qui restent. Tous à un moment ou à un autre se souviennent d’un trait qu’il leur avait échappé, ou d’un sentiment le plus beau qu’ils feignaient de ne pas voir, le plus souvent caché au fond de nous.

    Mais le plus difficile ne réside pas dans les réflexions des autres.

    Ne craigniez-vous pas que l’éternité vous semble triste, si jamais personne ne vous rend visite, une fleur à la main, un mot suspendu aux lèvres et une larme perlant à la paupière ?

     — Mais tu oublies l’essentiel, fiston ! Je n’entendrai pas non plus les prières hypocrites et encore moins je reconnaitrai les pas traînants de ceux qui viendraient ironiser sur le lieu de mon repos éternel.

    Vois-tu, jeune homme, le monde t’appartient, alors que tu l’ignores encore ; si tu veux bien aller le découvrir. À travers lui chaque jour des gens disparaissent dans l’indifférence de ceux qui les entourent, parce que loin de leurs villages ou méconnus du plus grand nombre.

    La planète ne s’en trouve pas affectée pour autant. Alors, là ou ailleurs, quelle importance ?

    C’est à l’ombre de nos pensées et de notre esprit que continue à vivre l’amour que nous portions aux nôtres.

    À l’instant où nous cessons d’être, les souvenirs s’estompent et le corps, lui, ne voit aucun inconvénient à reposer ici où là, pourvu qu’il s’y repose en paix.

     

     

    Amazone Solitude  


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