• La rencontre des océans

    – Quand on a vécu en Afrique, et que vos pas vous ont conduit jusqu’où la curiosité voulait satisfaire ses désirs, on ne peut laisser derrière soi ce vaste continent sans être allé, tel un pèlerinage, voir sa pointe la plus australe.

    Bien sûr que rien ne fut simple, alors que les yeux se sont posés sur beaucoup de souffrances, au moment où l’on reçoit une colossale leçon d’humilité. Il me semble que l’homme sort différent de semblables épreuves, même si l’après-aventure ne ressemblera plus jamais à l’avant, dès l’instant où il aura réussi à passer tous les obstacles, que chaque jour ne manquait pas de dresser devant lui. Nous prenons une formidable leçon de vie, dans tous les domaines, humains, animaux ou végétaux. Aucun repos n’est permis à l’élément qui doit toujours regarder vers le ciel pour y trouver un soupçon d’espérance. Alors, au soir de certaines étapes, on se prend à remercier le destin qui nous mit sur un autre continent, loin du berceau originel. On ne peut s’empêcher de penser que nos maux sont bien discrets à côté de l’immense misère qui couvre ces pays oubliés de tous les dieux. Mais comme toujours lorsque la foi guide vos pas, un jour, vous arrivez à la destination de vos rêves. On m’avait dit, là-bas, tu te rendras sur la montagne que l’on nomme la table. Je suis monté, en effet, et je ne fus pas déçu. Le spectacle était à la hauteur, si vous me permettez cette expression, de mes attentes. Plus je m’élevais et plus grand était mon bonheur. J’étais redevenu un enfant qui s’extasie à chaque couleur du feu d’artifice. Il arriva le moment où je ne pus rien dire. D’ailleurs l’aurais-je voulu, qu’il me fût impossible de prononcer la moindre parole. En moi, une petite voix me soufflait :

    – Regarde et ne cherche pas de mot pour expliquer un sentiment qui ne supporte aucune comparaison. Laisse tes yeux photographier ce qu’ils découvrent et apprécient, et permets à ton esprit de mettre en sûreté les images et les bruits, afin que tu puisses un jour, les expliquer avec dans la voix la même émotion que le jour où tu les inscrivis en ta mémoire.

    – Un tour d’horizon me confirma que la terre était bien ronde. Le mouvement des océans laissait à penser que par moments, le cercle se rétrécissait ou se déformait. Levant les yeux vers le ciel, j’en vins à me demander lequel des éléments était le plus grand. Malmenés par les vents générés par la rencontre des deux géants, les nuages se bousculaient. Les uns passaient par-dessus les autres, tandis que les indécis entamaient des danses folles qui les rendaient ivres.

    Du haut de la montagne, je ne pouvais apprécier avec justesse les éléments fêtant la rencontre des eaux. Je me demandais si elles allaient calmement, comme le font deux amis se laissant guider par leurs sourires, ou si elles se heurtaient avec violence, comme sont tentés de le faire ceux en qui le désir de possession est grand. À cet instant, j’aurais souhaité me trouver au cœur de l’échange, mesurer la vitesse des souffles, la hauteur des vagues ou la profondeur de leurs creux. J’aurais voulu être le navire pour ressentir les embruns, avoir sa puissance pour fendre le flot et le refermer derrière moi.

    J’avais soudain envie de courir au loin sur les océans, pour me convaincre à quoi pouvait bien ressembler ma montagne à cet instant précis. Mais je n’étais pas un oiseau pour utiliser les vents et je n’avais aucun moyen pour aller provoquer cette masse mouvante, allant et venant telle une immense respiration venant de l’univers.

    Il m’aurait été agréable de découvrir le goût et la profondeur des eaux, mais je n’étais pas un poisson pour m’amuser ou défier les courants. J’aurais aimé connaître la puissance des ouragans qui prennent naissance dans cette confusion des sens, mais je n’étais pas cousin avec cette haleine tombant de l’espace et qui gambade autour du monde, ignorant les tourments et émotions des hommes. J’aurais aussi voulu savoir comment se finissait le jour à cet endroit précis, mais je n’étais pas le voisin du temps pour en apprécier l’espace. Il me fallut bien me rendre à la raison et accepter l’évidence. Il est des instants qui inscrivent en notre mémoire des impressions particulièrement fortes, mais que nous ne pouvons décrire à l’émotion proche de la réalité.

    Je suis donc redescendu de la montagne, pour y retrouver le monde qui était bien le mien, avec dans le cœur quelques regrets, comme ceux que l’on éprouve lorsqu’il nous faut quitter nos plus beaux rêves, tandis que sans impatience, nous attend le quotidien.

     

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