• La saison de l'oubli

     

    — Maintenant que dans ma vie il se fait tard, je me rends compte que bien des choses et des évènements s’enfuient de mon esprit, tels des rats fuyant le navire en perdition. Il est vrai que je ne fis guère d’effort pour les retenir. En ai-je seulement le pouvoir et même le désir ? Ainsi, ce mal qui encombrait ma tête dérive-t-il sur les caprices du fleuve de ma vie, entraînant à sa suite les souvenirs qui furent les artisans de ma mémoire et qui vont se fracasser sur les rochers des cascades d’où ils seront emportés dans les tourbillons.

    Comment reconnaît-on que la saison de l’oubli est proche de nous, me demanderez-vous ?

    Oh ! Vous ne pouvez pas ne pas la distinguer clairement. Devant vous, elle étire les ombres que vous pensiez à jamais disparues sur les chemins fréquentés tout au long de votre vie. Obstinées qu’elles sont, elles vous indiquent toutes les étapes traversées ainsi que les tourments qui se sont complu à vous assaillir.

    Si je pouvais établir la liste des maux pervers dont les chimères obscures m’ont fait souffrir, il ne fait aucun doute qu’elle serait longue. En bonne place, j’y inscrirais le souvenir le plus douloureux ; celui qui transforma chaque gravier des chemins en d’énormes pierres montant à la rencontre de mes pas apeurés, cherchant à les éviter. Mais rien n’y faisait ; sans cesse, elles se mettaient en travers de ma route et tendant l’oreille, c’est tout juste si je ne les entendais pas ricaner. Conscient des nombreuses difficultés encombrant mon horizon, je me résignais en prétextant qu’il est impossible d’oublier un sentiment fourni par le cœur, qui jamais ne fut, à plus forte raison s’il n’a été gravé dans l’écorce de l’arbre au pied duquel vous me déposâtes mère, dans l’intimité d’une longue nuit d’hiver retenant son souffle pour ne pas crier sa douleur. 

    Puis vint l’interminable litanie des souvenirs qu’aucun enfant n’aime à se rappeler. D’abord l’indifférence collective, les rumeurs malignes qui s’insinuent dans chaque pli du jour afin que les ténèbres les inscrivent à leur patrimoine ; mais également les rejets de ceux qui craignent pour leur confort et les refus des accès au bonheur. La jalousie n’est jamais bien loin, comme si l’on pouvait envier la misère de ses voisins. Les brimades de toutes sortes ont fait leur chemin, les injustices leur ont emboîté le pas, les sentiers sont plus doux lorsqu’ils sont tracés par les autres.   Au fur et à mesure que les chaînes se libèrent, c’est autour des regards qui n’ont jamais pu s’exprimer pleinement, de lancer une ultime œillade enflammée et rancunière avant de partir à la recherche d’une nouvelle patrie où les attendent des innocents. Les fausses accusations bouclent leurs bagages qui à cause de leur grand poids vont laisser des marques sur les chemins. Les dernières mauvaises prédictions, à défaut d’argument, se trouvent des ailes pour s’enfuir plus vite.

    Soudain, comme après un cauchemar, le cœur reprend un rythme plus calme, il vient de sentir qu’une nouvelle vie passe à portée des sentiments. Cette autre période de l’existence, que l’on a tant désirée, on se surprend à la souhaiter aussi belle qu’un printemps qui ne voudrait jamais finir. En sa compagnie, nous irions par la terre entière installer des bourgeons fleuris sur chaque rameau et leurs pétales se revêtiraient de couleurs qu’aucun peintre n’a encore imaginé.

    Plus jamais nos traces ne laisseraient derrière elles une histoire pénible à raconter, puisqu’elles seraient transformées en de merveilleux pas de danse.

    Il serait venu aussi le temps de la musique, celle dont l’orchestre céleste ne se lasse jamais de jouer, puisant ses notes des jours nouveaux dans les cœurs des gens heureux pour les imprimer dans ceux des malheureux. Puisque la mémoire est enfin libérée, la place est maintenant disponible pour que vive le bonheur que rien ni personne ne viendra corrompre, et jusqu’au dernier jour je m’efforcerai d’y faire briller un seul souvenir.

    Celui qui nous réunit un matin de printemps, et qui pour nous séduire, décida d’inscrire haut dans le ciel en lettres d’or les paroles de l’amour. Comme il n’a pas l’habitude de l’écriture, le firmament s’est essayé à plusieurs messages, pour, finalement, ne faire qu’une image qui reflète à la perfection mes émotions. ²Le mien se mit à battre plus fort lorsqu’il se vit inscrit dans l’azur, comme s’il voulait me faire comprendre que toi et moi nous n’étions pas à la saison de l’oubli, mais bien à celle du renouveau.

    Amazone. Solitude. Copyright n° 00048010-1 

     

     


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