• La solitude se confie

    La solitude se confie

    — Il est étrange comme la vie à une manière bien particulière de marquer chacun des hommes. À n’en pas douter, l’empreinte qu’elle imprime en nous est une singularité qui ne s’effacera plus jamais. Au contraire, elle ne cessera d’évoluer afin d’être toujours à la hauteur des événements qui fleurissent tout au long de notre existence. Cette marque indélébile, la destinée l’aurait-elle voulue afin de mieux nous reconnaître dans un autre monde, si tant est qu’il y en ait un ? En fait, si elle prend tant de soin à graver en nous ses désirs, c’est probablement pour nous transformer en ses objets, ses serviteurs et très certainement ses souffre-douleurs.

    Rien ne sera vraiment réalisé dans notre vie que notre destin l’ait décidé avant même que notre esprit ne l’ait envisagé.

    Sans doute trouverez-vous insolite cette conversation, ignorant les faits qui l’ont provoqué. Pour ne pas vous mettre au supplice, en quelques mots je vous explique. Au départ, il y a la solitude. Il est rare qu’elle arrive en chemin, elle était déjà en nous et n’attendait que l’instant propice pour se manifester. C’est souvent à la saison où les inconforts de l’existence se manifestent au sein de la famille, qu’elle frappe à la porte, car c’est le temps où certains partent vers d’autres destinations, laissant derrière eux quelques-uns des membres de la fratrie comme on abandonne un objet devenu encombrant.

    Souvent, on me pose cette question :

    — Pourquoi être ainsi toujours prêt à tendre la main ?

    — L’explication est toute simple. Autour de nous, l’ingratitude grandit ; de jour en jour, elle hante nos routes, envahit nos champs où elle se mêle à la bonne herbe. Elle devient si épaisse que si nous n’y prenons garde, elle finira par étouffer les sentiments les plus beaux et les plus grands.

    Trop souvent, mes pensées sont empreintes d’amertume à la vue de ceux que nous laissons à leur destin. Il faut cependant que les hommes sachent qu’on ne joue pas impunément avec le cœur des autres.

    Quant à ceux qui ont décidé d’apaiser les douleurs d’un ami tombé en route, il faut savoir qu’ils le font avec ce qu’ils ont de meilleur en eux. Les pensées, les mots, les prières et les souhaits viennent du plus profond d’eux-mêmes. Il faut que vous compreniez que chaque parole est pareille à un lambeau de chair que l’on a arraché à un corps pour le greffer à celui qui endure les injustices de la vie.

    Toutefois, ne nous méprenons pas. Nous ne sommes pas des Dieux. Nous-mêmes, nous ne serons pas forts indéfiniment. Nous souffrons avec ceux qui souffrent, nous pleurons avec ceux qui laissent couler leurs larmes. Il nous arrive de sourire avec ceux qui nous remercient parce qu’ils sont convalescents et nous aident dans nos démarches.

    Personnellement, les premiers yeux que j’ai fermés, c’était une nuit de 1956. J’avais onze ans. Je l’ai fait à la suite d’une ultime conversation, de dernières confidences et de secrets jamais dévoilés au paravent. Je crois bien que c’est depuis cette douloureuse nuit que la solitude m’a tiré hors du monde. Nous avons beau être des hommes rompus aux difficultés, nous sommes avant tout des êtres humains et rien ne nous prédisposait à devenir des soigneurs d’âmes.

    Depuis cette nuit, je n’ai jamais cessé d’être auprès de ceux qui ont besoin d’amitié. Du fond de notre misère, nous avons accueilli nos frères de souffrance, mais aussi les nantis, parce que la douleur est la même pour tous.

    Nous ne ressemblons pas au créateur, nous n’y ressemblerons jamais. Lorsque nous nous adressons à ceux qui souffrent, c’est avec notre cœur et notre esprit et cela est douloureux parce que nous sommes de chair et de sang.

    Alors, si à l’image d’une croix où Jésus semble tourner le dos à une église perdue en brousse parce que la porte en reste désespérément fermée, l’ingratitude venait à grandir, nos cœurs demeureraient sourds, parce que blessés et oubliés.

    Nous n’existons que pour donner une part de nous-mêmes ; jamais pour prendre. Notre satisfaction n’est comblée que par une guérison, parfois un timide sourire ou un merci avant que nous nous tournions vers une autre destinée désespérée.

    Vous le voyez, la solitude n’est pas seulement le fait d’être isolé dans le monde, mais c’est aussi la manière de souffrir parce que ne pouvant partager la douleur, les espérances ou les rêves de ceux qui nous lâchent la main.


    Amazone. Solitude.


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