• LA TERRE DE LA DÉSOLATION

    LA TERRE DE LA DÉSOLATION

    – Je sais, ces mots ressemblent étrangement à d’autres, maintes fois dits et répétés. Pour peu de résultats, j’en conviens, car ils sont donnés à la façon d’un coup d’épée dans l’eau, qui jamais ne réussit à en couper le cours. Alors, dans nos pays répartis autour de la planète, chacun notre tour, nous nous lamentons, devant l’indifférence du plus grand nombre qui, en vers la nature, n’a que peu de considération. Pour être quelqu’un de la campagne, je ne suis pas sans savoir que pour nourrir l’humanité, nous avons besoin d’exploiter une part de notre environnement. Selon les régions du monde, celle-ci sera plus ou moins importante, en fonction des cultures que nous désirons mener. Mais pas seulement. Elles seront pratiquées sur un terrain riche, donc la superficie se contentera d’être plus modeste. Au-delà, cela devient de la gourmandise.

    Chez nous, ce n’est pas une critique, mais une constatation, le sol est pauvre, car trop lessivé, par des ondées tropicales qui régalent les végétaux, mais désolent le support sur lequel ils prospèrent. Ainsi, de saisons des pluies en cataractes tombées du ciel, les éléments fertilisants migrent-ils involontairement vers les criques, les rivières et les fleuves, avant de se perdre à tout jamais dans la mer. Mais cette situation n’est pas nouvelle, et il serait honnête de ne pas faire semblant de la découvrir à l’instant. Depuis l’aube du premier jour, le destin de notre Amazonie avait reçu sa feuille de route, pour employer une citation d’actualité, et la forêt avait gagné tant d’espace, qu’elle s’étendit d’une rive d’un océan pour mourir sur une autre. Elle prospéra constamment, et s’enrichit d’espèces végétales et animales au fil des siècles, pour devenir un magnifique potager que les premiers habitants occupèrent. Il ne leur fallut que peu de temps pour comprendre le mode de fonctionnement de leur milieu. Aussi, ne lui ont-ils pas fait des blessures si importantes dont elles n’eussent pu guérir. Les cultures étaient itinérantes, et il ne serait pas venu à l’idée de ces jardiniers de la forêt, à produire plus qu’ils ne pouvaient consommer. La surface exploitée devenue pauvre, elle était rendue à la nature qui s’empressait de la réoccuper, s’enrichissant au passage de variétés nouvelles. On eut dit alors que les uns et les autres avaient ouvert un second livre, et que sur le mot fin, ils le refermaient, pour en écrire un troisième sur une parcelle voisine.

    Certes, nous ne ferons pas semblant de croire que les hommes furent toujours des modèles, en matière d’existence pacifique et heureux colocataires d’une forêt dont ils pensaient qu’elle ne possédait pas de limites. Non, bien sûr, ils se heurtèrent et même se déchirèrent, car au nombre des mammifères auxquels ils appartenaient, les individus se devaient de défendre leurs territoires, d’en conquérir d’autres, de protéger leurs villages et leurs familles. Une chose leur était commune ; la façon de cultiver leur environnement, de sorte qu’il pourvoit à nourrir les peuples qui la découvraient. Jusqu’à ce que quelques-uns inventent un mot étrange. Le profit. Alors on assista au plus grand pillage de tous les temps. Pour les nouveaux arrivants, chaque élément rencontré était un trésor à voler. Les flancs des navires se remplissaient, à mesure que la nature s’épuisait. Le désir de possession fut tel, que d’une parcelle à l’autre, la forêt gisait, vaincue par les haches, les scies, puis les outils modernes qui semblèrent lui faire savoir qu’il fallait en finir au plus vite.

    La désolation prenait la place du merveilleux jardin qui avait contribué à rendre heureux ceux qui le cultivaient. Mais la terre et ses richesses ne suffisaient pas aux explorateurs. Ils voulurent aussi raser les villages, éliminer les populations qui ne revendiquaient pas la propriété de l’Amazonie, puisqu’ils estimaient en être les enfants naturels, tant ils étaient proches d’elle. Ils en connaissaient les moindres secrets, possédaient une science qu’aucun peuple ne détenait, car elle ne s’apprenait pas dans les livres, mais était le fruit d’observations qui se transmettaient oralement d’une génération à une autre.

    Soudain, telles des nuées de criquets affamés, les voleurs s’abattirent sur L’Amazonie. Ce qui était une encyclopédie fut réduit en cendres, le savoir piétiné, le bonheur éventré, et les rêves dispersés aux quatre vents, sans qu’ils puissent trouver une nouvelle terre d’accueil. Les populations eurent beau se défendre, elles furent vaincues et soumises pour les unes, tandis que d’autres s’enfuyaient au plus profond de la haute sylve, pensant naïvement qu’ils pourraient reconstituer leur vie d’antan. Hélas ! Les machines modernes avancent à la vitesse du cheval au galop et il n’est plus d’endroit où les indigènes peuvent vivre en paix. Le soir, ils s’endorment avec leurs songes, et l’aube les réveille avec la triste réalité.

    Ainsi, l’homme est bien cet animal étrange qui détruit non pour se nourrir, mais pour le profit, ignorant que là où son âme ira, si tant est qu’il lui en reste une, les monnaies n’y ont pas cours, et qu’aucun bagage n’y est autorisé. Ce qui ajoute à la désolation, c’est qu’au naturel il substitue les produits modifiés ; mais soyons-en sûrs, ils accéléreront sa disparition. Je sais, je ne suis pas optimiste ; mais comment pourrais-je l’être au regard de ce qui se passe, alors que beaucoup ne font rien, ou si peu, bien que criant haut et fort avec les loups, tandis qu’ils ne sont que les moutons dont ils prétendent ne pas vouloir intégrer le troupeau.

    Amazone. Solitude. Copyright 00061340-1


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